• Des maux de volatile

        Il nous faut bien t'oublier. Le vivant, cette actualité trépidante... Il nous faudrait vivre reclus et observer tes photographies tous les jours pour que tu puisses encore exister pour nous.
        Pourtant, aujourd'hui, cette tristesse déchirante me réveille à nouveau, comme elle se plaisait à me tirer des bras de Morphée pour me jeter dans ceux du néant jadis.
        Dans cette obscurité familière je devine ton souvenir. À ton instar, je cultiverai ma vacuité jusqu'à la mort.
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        L'albatros avait le fier regard de l'optimisme. Il brandissait son crayon comme il brandirait une épée, et griffonnait sur le papier comme il assénerait des coups.
        Dans l'ombre de son esprit, il ignorait tous les regrets. Sa meurtrissure, il devait l'oublier, il devait la prévenir et l'éviter, car il se doutait bien qu'il avait failli à un moment pour mériter pareille affliction.
        Il lui arrivait pourtant, malgré lui, de s'épancher sur sa tristesse dans son sommeil. Il revoyait ces visages qu'il admirait et aimait parce qu'ils dédaignaient le sien, et puisait toute sa joie dans ce dédain. Qu'ils étaient beaux et charmants, qu'il se disait, et il se prenait encore à jalouser leurs charmes, ceux-là qu'un droit, divin, pensait-il, leur avait conféré, mais sur lesquels il lorgnait.
        Car l'albatros aux dents aiguisées ne pouvait se résoudre à la médiocrité et ses fléaux... Il devrait être infaillible, désormais, car jamais plus il ne voulait qu'on l'abandonnât.
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        L'albatros s'était retrouvé tout pantois quand elle lui avait trifouillé le plumage. Il avait apprécié le chatouillement que ses mains lui procuraient, d'abord, avant d'être traversé, par intermittence, d'une vague mélancolie. Il le devait, pour son amour ; ses grandes ailes restaient déployées malgré sa furieuse envie de s'y enfouir.
         Le doute se propageait comme des puces sur leur corps et ils se mirent à se triturer l'esprit de perplexité à l'unisson.
         Subitement, l'albatros, prit son envol.
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         L’albatros aux dents aiguisées s’était quelque peu perdu dans la bonne compagnie, à laquelle il s’était accoutumé, et qu’il réclamait maintenant avec ferveur. Il se montrait même plutôt imbuvable lorsque son ami et compagnon, le corbeau sans plumes, d’une nature solitaire, lui préférait son confort à sa discussion. Voilà plus de trois mois qu’ils se fréquentaient au quotidien malgré leurs dispositions sociales particulières respectives pour s’adonner à ce petit vertige pour couillons que l’on évoque avec une mine rêveuse : « le voyage ». C’est qu’ils avaient énormément de temps à tuer avant de reprendre leurs activités, le genre qui vous laisse tellement pantois face au champ des possibles qu’il vous pousse directement dans les bras de l’oisiveté et du rébarbatif. Et, à choisir, l’albatros préférait la béatitude, dut-il s’en retrouver diminué. Le corbeau sans plumes n’avait pas spécialement l’air d’être affecté par la situation, si ce n’est qu’il se plaignait régulièrement de sa faible constitution physique, car, à cause qu’il était glabre, les rayons du soleil lui brûlaient directement la peau. Quant à l’albatros et son éternelle versatilité, il se savait baigner dans la complaisance et il la haïssait joyeusement. Ses grands yeux vifs furetaient souvent en quête d’attention, et il récoltait les regards comme des collations, fussent-ils hostiles, c’était encore de l’intérêt. Avide de rencontres était ce même albatros qui, quelques mois plus tôt, s’était épanoui dans la solitude.
         Toutes ces collations, malheureusement, nuisaient à son plumage. Chaque matin, il se contorsionnait dans tous les angles pour se mettre à son avantage devant le miroir, mais il fut forcé de constater qu’il avait perdu de son éclat – ce qui ne l’empêchait pas de se pavaner un peu misérablement devant les clientes de l’hôtel. Je ne puis toutefois vanter les vertus de la solitude sur l’albatros aux dents aiguisées sans plus de formalités. Il est vrai, le pèlerinage qu’il avait effectué afin de trouver la lumière avait eu, dans un premier temps, un effet désastreux sur son plumage ; mais son métabolisme s’était habitué à ces modestes conditions de vie, et il en était ressorti d’autant plus vigoureux et soyeux – et ce serait sans parler de la carrure majestueuse que lui avaient conféré tous ses efforts. Il ne s’était épargné aucune peine pendant son pèlerinage, ce qui le différenciait radicalement de son petit vertige pour couillons accompagné du corbeau sans plumes, et du luxe qu’il avait exigé. L’albatros ne se plaisait réellement que'en se surmenant aux sports, aux arts et aux devoirs, auxquels il ne trouvait le temps de se consacrer que lorsqu’il était presque tout à fait seul. En conséquence, le point culminant de son séjour fut, paradoxalement, le moment du retour, cette vague mélancolie qui emplie les lieux que l’on s’apprête à quitter pour toujours, et surtout, cette solitude retrouvée qui est tout à fait une liberté retrouvée et dont l’effet est comparable à une bouffée d’air frais après qu’on ait manqué de s’asphyxier.
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    Félin vindicatif, hostile reptile
    De son œil tranchant compte d'autant d'ennemis
    Que de mines innocentes et réjouies

    Jamais, Ô grand jamais le félin
    Ne trouva maître auprès duquel ronronner
    Jamais, Ô grand jamais le reptile
    Ne trouva rival auprès duquel s'éprouver

    C'était partout de formidables inconnus
    Ils ne goûtaient guère à la concupiscence de s'être appartenu

    Assourdis par l'ubique dithyrambe
    Ils lui préféraient la jalouse élégie
    Dussent-ils être aimés
    qu'ils s'en verraient déboussolés

    La béatitude et les beaux sentiments
    Leur morne condition t'en eût voulu dépourvu
    A se demander pourquoi ce qui fut
    Désormais n'était plus
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    L'albatros clopin clopant s'en fut demandant
    Dans sa mélancolique alcoolémie pourquoi
    Diable le temps passe-t-il et pourquoi
    Emporte-t-il avec lui toutes ces êtres
    Il se figurait entre ces ruelles anciennes
    Tous ces passants disparus et lui-même
    Car il le sait qu'il ne reviendra plus
    Dans la forêt dans laquelle il se perd joyeusement
    Dans la maison qui a abandonné tous ses souvenirs
    Sur les routes où les nuits solitaires le poivrot guette
    La fascinante contingence de ses pas
    Alors pouvait le mener sur les sentiers les plus étonnants
    Il médisait cet ingrat la musagète de la plus palpable des vies
    Devant l'albatros il n'y avait plus que ses pieds sur le pavé
    Et la vacuité d'une amère réminiscence
    Dans cette lente fuite l'albatros se traîne perdant




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