• Inéluctable

    "J’étais traqué par le quotidien, les gens, le courant temporel,  le monde, la vie. Toutes ces choses-là me tombaient dessus, et, sans consentir à jouer la victime, elles ne me réussissaient pas.
    Contrairement à ce que j’ai pu voir des autres, je m’y suis bien adapté. J’ai su choisir dans l’inéluctable, survivre en évitant de me blesser, en évitant de sombrer.
    Rien de plus qu’une capacité d’adaptation à toutes épreuves. "

    Inéluctable est ma fiction. Elle adapte plutôt des tailles de romans, donc pour la lire, il faudra avoir du courage -on est bien moins concentrés lorsqu'on lit sur un ordinateur, on se lasse plus vite, aussi. 
    Enfin je n'ai pas trop d'espoirs vis-à-vis des lecteurs comme d'habitude... ~ (# ̄▽ ̄#) 
    Bien que j'aurais grand besoin d'avoir des avis...! Au passage, si quelqu'un lit un jour, je n'aime pas les fautes, les signaler me ferait plaisir. 
    On verra bien ! 

     

  • Ce machin, c'est à la fois un truc de gros rebelle et de fragile. Je vous jure, je reconnais même pas mon pauvre Xander.
    Pardonne-moi, Xander.
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    Je frappe à la porte de la salle de classe après vérification qu'aucun élément n’en dise trop sur ma sortie. En pénétrant dans la pièce, je surprends grossièrement  une trentaine de paires d'yeux rivés sur moi, des bouches grandes ouvertes, coites d'un étonnement exagéré. 
    « T'as fait quoi hier soir pour débarquer à une heure pareille, Xander ? me vanne l’illustre Vincent, tu te l’es enfin tapée ? »
    Gloussements de vengeance.
    Je croise le regard de Paule. Effaré. Je souris. 
    Je me rappelle qu’un ami du net m’avait dit que mes nerfs étaient deux cordes qui se frottaient perpétuellement l’une contre l’autre. Il avait raison, et désormais, les cordes sont très élimées. Sans réfléchir, je me précipite sur lui. Je ne sais pas vraiment où je frappe, dans le feu de l'action. La rage me rend agressif, incontrôlable. Des mains ne tardent pas à agripper mon t-shirt, des bras à se hisser autour des miens, les cris à fuser. Je me débats violemment en donnant des coups de talons, en hurlant qu'on me lâche.
    Mais ce n'est pas suffisant. Ma fureur s’apaise, et je peux contempler mon œuvre.
    Un Vincent en larmes, dont l’œil droit prend peu à peu une teinte pervenche, et dont une bosse orne le front. Deux coulées de sang émanent de son nez, striant son philtrum.
    Il fronce les sourcils, retrousse le nez, et me foudroie d’une œillade haineuse. Son bras s’élance, et il m’assène un puissant coup dans le ventre. J’en ai la respiration coupée, et les bras qui me retiennent m’empêchent de me recroqueviller. Je suffoque. Une bouffée d’air s’avère être une bénédiction après en avoir été privé.
    Lorsque je relève la tête vers Madame Fontain, le professeur qui prononcera ma sentence, son index pointe la porte.
    Ce qui signifie grosso modo que je suis viré de cours, pour le moment. Elle a été gentille.
    Ma mère sera probablement mise au courant, et j’aurais le droit à quelques heures de colle.
    Une certaine Emilie, un peu trop fardée, se dévoue pour me servir d’escorte et expliquer la situation au CPE. Ce dernier remplit un retard et une colle dans mon carnet, puis s’empare lentement du combiné téléphonique et compose le numéro de ma mère après que je le lui aie transmis. Il utilise un vocabulaire précis pour exacerber la situation, mais Maman ne réagit pas et rétorque avec nonchalance.
    Je prends place en permanence, le plus éloigné de la place du surveillant possible, qui s’est manifestement absenté.
    Mon téléphone vibre.

    Paule : Ca va ?
    Xander : J’en ai eu des pires, c’est rien. J’ai remis en place Vincent, et sans commander d’armes.
    Paule : C’est la première fois que j’te vois agressif, j’crois. Waou.
    Xander : « Méfiez-vous de l’eau qui dort », on dit bien. :)
    Paule : Sinon, pourquoi t’es arrivé en retard ?
    Xander : Je voulais juste dormir un peu plus, j’étais malade cette nuit, je n’ai pas pu fermer l’œil.

    Ce qui, en soi, n’est pas totalement un mensonge.

    Paule : C’est suspect.
    Xander : Je te laisse, le surveillant est de retour.

    Je m’avachis sur mon bureau et ne peux réprimer un bâillement.
    Un peu plus tard, je sens une tape sur mon épaule. Je m’éveille tant bien que mal.
    Tewis. Un guitariste, et un des seuls doté de matière grise du lycée, avec son groupe. Il porte un T-shirt à l'effigie de Three Days Grace.
    Je n’ai jamais trop osé l’aborder, une sorte de gêne, une de ces personnes que l’on aimerait mieux connaître mais qui ne s’avère pas assez accueillante.
    « Salut, Rill. Viré de cours ? me glisse-t-il en prenant place à mes côtés.
    -Ouais.
    -Qu’est-ce que t’as fait ?
    -Taire Vincent. Un peu brutalement.
    -Quoi ? s’étonne le jeune homme.  Mais t’es le calme incarné !
    -Ah bon, j’suis comme ça, moi ?
    -C'est bien que t’aies fait ça. J’t’ai toujours vu subir en silence. »
    Je lâche un rire discret.
    « Quoi, toi aussi tu me considères comme une victime ? 
    -Hm… De ce que j’en ai vu, plutôt. Enfin, au fond, on est tous des victimes… Mais ça n’a rien d’humiliant, répond-t-il, un chouïa gêné de la tournure de la discussion, Enfin… Je ne peux pas me permettre d’émettre de jugements du peu que j’en sais, j’imagine.  
    -Pourquoi pas ? Ce n’est pas faux, c’est plutôt vrai, même. Mais je le vis bien. C’est juste que je ne donne pas d’importance aux petits problèmes qui me tombent dessus.
    -Et ce qui te tient à cœur ? Comment tu t’y prends ? »
    La sonnerie des neuf heures retentit. Je saisis mon sac. 
    « Tu verras bien », dis-je en m’en allant.
    Je lui fais un signe de main et me rends au prochain cours. Je rejoins Paule. Elle est habillée d’un short à mosaïques noir dont les extrémités sont effilées et un T-Shirt de basketball rouge cerise sur lequel stipule « Bulls 33 ».
    Pour un peu, j'aurais les larmes aux yeux tellement elle est mignonne. 
    « Xander ? Pourquoi tu me regardes comme ça ? Bouge-toi, on rentre en cours », m'interpelle l’intéressée.
    Je cligne des yeux et secoue légèrement la tête.
    « Je rêvassais, comme d’habitude. Excuse-moi. »

    Nous déambulons dans les rues de la banlieue. Nous nous rendons à la librairie, là où nous achèterions notre consommation de livres quotidienne.
    Paule a très lourdement insisté pour tous me les payer. Elle se montre d’une générosité hors paire avec moi. Quelle ironie de la part d’un type qui se trimballe avec sept cent euros dans le sac, en ce jour-ci.
    Nous sommes passés devant un groupe de caïds, lequel l’épie avec insistance. La demoiselle se refuse systématiquement à ne pas les regarder de cette manière à son tour. A distance adéquate, elle me confie :
    « J’crois que sans toi, j’aurais jamais le culot de les fixer comme ça. Ou même de m’balader dans cette ville pourrie.
    -Ne me prends pas pour ce que je n’suis pas : un mec baraqué avec des gros biceps et des abdos. »
    La rousse pouffe.
    « Ouais, t’es bien plus dangereux, tu me l’as prouvé pas plus tard que ce matin. »
    Je pousse le battant de la porte et nous nous introduisons dans la boutique. Elle commence à feuilleter quelques mangas, tandis que je consulte les quatrièmes de couverture des romans. Contrairement à d’habitude, elle n’a pas engagé directement la conversation.
    Aux antipodes de la Paule sûre d’elle, celle-ci guigne vers moi,  hésitante.
    « Oui ? » dis-je.
    La demoiselle paraît prise de court.
    « Hmm… Comment va Zack ? 
    -Aucune idée. Ma mère aura sûrement une visite à l’hôpital pour qu’on lui explique la situation.
    -Tu te fous vraiment de ce qui peut lui arriver ?
    -Non. »
    Elle paraît stupéfaite, ce qui est un peu vexant.
    « Vraiment ?!
    -J’ai un cœur, Paule. C’est une vie. Ma mère, mes sœurs et même le chien ne méritent pas ça, rétorqué-je fermement.
    -Excuse-moi. J’y avais pas pensé.
    -Pas de soucis. »
    Elle aborde un sujet plus banal.
    Une quinzaine de minutes plus tard, elle lève le nez de son bouquin.
    « Tu ne prends rien ? m’interroge-t-elle, comme j’en étais venu à feuilleter les bandes dessinées, que je n’achète jamais.
    -Oui.
    -Pourtant tu trouves toujours quelque chose… T’es sûr ?
    -Ouais, ouais. J’ai pas fini mon dernier roman.»
    Je ne peux pas faire payer ma meilleure amie en ayant autant d’argent dans mon sac.
    « Tu te comportes étrangement, aujourd’hui… » soupire la demoiselle en encaissant le tome 6 du berceau des esprits.


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  • Je suis retombée sur Inéluctable, enfoui dans mon ordinateur depuis 2013. Ça m'a rappelé un peu tristement l'époque où j'écrivais beaucoup et plus facilement, mais fort heureusement, la qualité du récit n'est plus la même. J'ai trouvé amusant de constater à quel point l'histoire prenait une tournure enfantine, dramatique de manière assez ridicule. Pas très original, mais attendrissant d'incertitude.
    Vous constaterez bientôt l'étendue de mes progrès depuis l'époque d'Inéluctable... Deux ans et demi durant lesquels, malgré mes pannes d'inspiration, je n'ai pas chômé ! 

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    Inéluctable - Chapitre 2 : part 1

    (Artiste : Ko-Yamii Personnage : OC, Matt Morgan)

    Finalement, je suis rentré aux alentours de vingt-trois heures. Je fus pris de maux de crâne et de nausées, et n'eus pas réussi à fermer l'œil de la nuit.
    Des oiseaux commencent à piailler. Il est tout juste six heures. Je quitte mes draps et ouvre mes volets.
    L'aurore. Je fixe distraitement le dégradé de bleu et d'orange de la voûte céleste tout en tripotant quelques mèches de cheveux en bataille.
    Mes douleurs persistent. Je lâche un soupir et attrape mon traversin que je plie sur mes genoux nus, et m’assoupis dessus.
    Je reste un petit moment, comme ça. Peut-être bien une bonne demi-heure, le temps de me sentir un peu mieux. L'harmonie de la nature n'a pas de rivaux.
    Avisant que les deux terreurs ne se réveillent, je me hâte de rafler plusieurs boîtes de conserve, des paquets de gâteaux, de la boisson, des couverts et un ouvre-boîte pour Victor, et les enfourne dans un sac plastique, aux aguets. Je suis probablement fou d’aller aider quelqu’un qui a manqué de faire sauter la cervelle de Paule, mais cette histoire m’intrigue.

    Je finis par aller prendre ma douche et m'habiller, et avale quelques médicaments par précaution.
    Pris de compassion devant la mine déconfite de Willys, je passe mes mains dans son épaisse fourrure blanche et brune, regrettant de ne pas avoir le temps de le sortir. Son expression reflétant une preste joie, je m’enhardis à l’idée de m’exécuter ce soir.
    Je me précipite au lycée sans plus tarder, y pénétrant à l'instant où l’équipe éducative en ouvre les portes, puis dans l'arrière-cour encore non peuplée.
    Je grimpe agilement, cours encore et encore. Et trébuche la tête la première dans la terre fraîche et les pousses de plantes. Ce n'est qu'une branche mal placée. 
    J'essuie hâtivement les traces sur mes habits et mon visage, et repars dans ma course effrénée, le bruit métallique des boîtes de conserve dans mon sac l'accompagnant avec toujours autant d'entrain.
    Le local me fait toujours son effet onirique. Je frappe bruyamment à la porte. 
    Victor semblait encore dormir, sa voix encore embuée de sommeil s'élève lassement :
    « J'arrive, j'arrive...
    -Vous ne demandez même pas qui c'est ? » je demande, étonné, tandis qu'il ouvre la porte.
    Il m'ébouriffe les cheveux de sa main crasseuse, d'un geste trop familier à mon goût. Mais il sourit, un sourire magnifiquement sincère, et paternel, comme toujours. De son côté, il a dû être privé de ses enfants. Moi, d’un vrai père.
    « T'inquiète pas, va, je savais que tu viendrais, t'es un bon gars. Ils se donneraient pas la peine de toquer pour m'éclater la cervelle. Allez, rentre. »
    Je grimace.
    J'ôte la nourriture de mon sac, que j’ai négligemment déposée sur la table miteuse. Il se jette sournoisement dessus, éventre une boîte de conserve, trempe goulûment ses doigts et les amène à sa bouche, tout cela en émettant des bruits gutturaux. Je slalome entre les saletés pour m'adosser à une partie du mur non parasitée par la mousse. J'attends. J'essaye d'imaginer en quoi il va bien pouvoir m'aider, à mon tour. Mais non, je ne trouve rien de bien concret, plausible.
    Après avoir consommé une bonne partie des provisions, il s'essuie la bouche.
    « Bon, mon gars... commence l'homme, j'ai pas oublié le deal. Je te préviens : sois pas trop bavard, ils te feraient taire. »
    Le visage de Victor est soudainement hiératique.
    « Il a pas un bout de temps, un groupe de révolutionnaires a commencé à jacter. Ils déclinaient des sales idées, et ce dans le but de créer un nouvel ordre mondial. Ceux qui dirigent ça sont maintenant très nombreux, et par conséquent ils détiennent "le monde" entre leurs mains. Et ils comptent bien aboutir leurs projets. »
    ’arbore un sourire désabusé, mais il poursuit sa tirade sans y prêter attention.
    « Ils vont enfin agir. (Il empoigne un morceau de tissu de sa blouse sale.) Tu as dû remarquer que j'étais scientifique. Je travaillais pour ces types-là. Pourtant, on ne savait rien d'eux, si ce n'est leur but. Pour caresser le nouvel ordre, il est indispensable de posséder ce qui fait la vie et la mort des citoyens, et une influence dans tous les domaines. Culture, commerce, économie, droit… Et évidemment, science. De nos jours, on développe des vaccins contre les cancers ou certaines maladies. On progresse. Mais ce que peu de personnes savent, c'est qu'on développe aussi des virus, qui pourraient décimer des civilisations entières, par exemple. Précisément le secteur qu’on m’a assigné, avoue-t-il, Je suis l'un des seuls à ne pas avoir perdu la tête en sachant ce que je faisais. »
    J'écarquille les yeux et me renfrogne aussitôt.
    « Pour parvenir au nouvel ordre mondial, la civilisation actuelle ne convient pas. Et après plus de trois cent ans de travail, arrive le point culminant de la conspiration. »
    Je me racle la gorge, fixant le scientifique avec appréhension.
    « L'extermination de notre peuple. »
    La rationalité me saute aux yeux, me rassure : je ne connais rien de ce Victor, il affabule probablement depuis tout à l'heure. Je ne peux pas avoir confiance en lui. L'homme se rend compte de mon incertitude et ricane.
    « Mon petit, je n'ai aucun intérêt à te mentir. Enfin, si tu veux bien me laisser poursuivre. »
    J'opine docilement, toutefois d'un œil suspicieux.
    « Enfin, exterminer… C’est un bien grand mot. (Je lâche un petit soupir de soulagement.) Disons qu’ils vont sérieusement altérer nos vies. J'ai vu mes camarades de laboratoire mourir un à un, chacun dans de mystérieuses circonstances, et j'ai avisé en trouvant refuge dans ma ville natale : cette banlieue. Dans ce qui me servait de "base secrète" dans mon enfance, en vérité, ajoute Victor en refoulant un rire nostalgique, Ils nous avaient promis que nous serions épargnés, mais ils n’en ont jamais eu l’intention. Nous les dérangions de part notre savoir. (Il appuie sa tête contre son poing et baille.) Le dernier virus que nous avons mis au point se nomme Satan. Il s’agit d’un virus transitoire, c’est-à-dire qu’il fait passer l’infecté d’un état à un autre. Il se caractérise d'abord par des pertes de connaissance et de sang froid, l’engourdissement des membres, des fièvres et des maux de crâne. Finalement, l’infecté deviendra un véritable carnassier avide de chair humaine : ses dents seront aiguisées, ils auront des griffes rétractiles et une attirance innée et folle pour la chair des humains, mais leur conscience en demeurera intacte.»
    Je m’agenouille, de façon à reposer mes membres.
    « Une véritable armée omniprésente, grosso modo.
    -Tout juste.
    -Quelles seront les personnes en mesure de survivre ? je questionne en rongeant mes ongles.
    -Les adolescents et les adultes, répond le scientifique après courte réflexion, les seniors et les nouveau-nés ne seront que des fardeaux. Les enfants ont leurs chances s'ils ne sont pas seuls. Certains hospitalisés seront tout juste les contaminés, les autres serviront d’entrée. Satan a également la particularité accroître les capacités physiques de ses contaminés et de les guérir de problèmes musculaires lorsqu’ils le développent. Outre ces bénéfices, ils sont aussi vulnérables que nous. Il faudra être malin. Cerner les réactions des contaminés, leurs atouts, leurs points faibles... (Il attend avant de poursuivre, pour prôner la suite.) Et savoir faire des sacrifices. »
    Je conclus que mon géniteur serait soit contaminé, soit condamné.
    « Il est inutile de faire jaser ce que je t'ai dit, même si je me doute que ça serait plutôt (il a pris une voix d’adolescent pré-pubère) : « Y a un vieux fou qui m’a raconté des histoires de fin du monde, il m’a pris pour un lapin de trois semaines ! » Quoi qu’il en soit, c'est irrémédiable. A affoler tes proches, tu signerais leur arrêt de mort avant l'heure, à toi et à eux tous. Les conspirateurs seraient au courant d'une manière ou d'une autre. Les conspirateurs sont partout. Tâche de protéger les gens que tu aimes le moment venu. »
    Je passe une main sur mon front. Je recommence à me sentir mal. L’initiative que tout ceci soit la vérité n’est pas à négliger… Pourtant, je me vois bien piteusement crédule.
    L'homme se lève et se dirige vers l'armoire. Il saisit une couverture neuve et s'avance vers moi pour la déposer sur mes épaules. Je m’emmitoufle dedans, la serrant fort. Je respire, inspire, et clos les yeux. Une poignée de minutes plus tard, je parais en état. Je plie et remets affablement la couverture à sa place.
    « Ça va mieux ? » demande bêtement Victor.
    J'acquiesce. Il me tend une liasse de billet de vingt euros.
    « Il y a à peu près sept cent euros. Ça ne me sert à rien puisque je ne peux plus sortir. Fais-en ce que tu veux, mais reviens m'approvisionner jusqu'à la grande contamination. Je compte sur toi. »
    J'ai au moins la preuve qu'il est réellement recherché. On est rarement prêts à donner sept cent euros à un inconnu pour se foutre de lui. J’hoche la tête et prends la liasse, stupéfait.
    « Je ne sais pas trop quoi dire... Je serais même tenté de refuser, mais ça n'aurait pas de sens... Merci, Victor.
    -Pas de quoi. Je suis heureux d'avoir pu confier ça à quelqu'un. »
    J'esquisse un léger sourire et salue l'homme.
    « A demain. »
    Glouton.


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  • Chapitre 1 : Part 3

    Paule ne fut pas loquace pour les cours de l'après-midi, ce qui était compréhensible. Elle était encore en état de choc.
    Cet amour de la vie est mignon.
    « Emmène-moi à un bel endroit. »
    Paule n’étant pas tout à fait du coin, j’ai une meilleure connaissance des lieux. Je passe un doigt sur mes deux piercings au labret.
    « Il n'y en a pas vraiment, par ici... je réponds, dubitatif. Enfin, ce n'est pas très gai.
    -C'est ?
    -Le cimetière. Je doute que ça te change les idées... »
    Effectivement, Paule n'a pas l'air très emballée.
    « Et si on prend l'bus ?
    -Un lac. Ou une jolie vue en hauteur.
    -Le deuxième », rétorque l'adolescente en me pourvoyant d'un faible sourire.
    Nous attendons côte à côte, à l'arrêt.
    « T'es quand même, euh... Assez bizarre. Nan, t’es carrément bizarre.
    -Tu devrais le savoir depuis le temps, rigolé-je.
    -Pas à ce point ! Ça t'a à peine remué les tripes tout à l’heure. Tu sais, réflexes de survie, la peur de mourir... On dirait que t'y tiens pas, t'es même resté discuter.
    -Oh, c'est pas un type dangereux, ça s'voyait. Juste désespéré. »
    Elle ouvre de grands yeux.
    « Tu te bases sur de simples intuitions ? De mieux en mieux, tu mets ta vie en jeu, tu sais...
    -S’il avait voulu nous tuer, il t’aurait descendue à la seconde où il t’a vue.
    -Pas faux. Au fait, t’es resté plus longtemps que moi. Qu'est-ce qu'il t'a dit ?
    -Hum... Il serait peu judicieux de t'en parler », je murmure.
    Le bus débarque. Nous entrons sans payer.
    La jeune femme s'assoit en face de moi et me scrute, intriguée.
    J’inspire et respire sentencieusement, pour expliquer brièvement :
    « C’est juste un type dans le besoin.
    -Quel culot », s'agace-t-elle en grimaçant.

    La route pentue l'ayant fatiguée, je l’aide dans son ultime montée : les escaliers. Elle se cramponne à moi jusqu'aux clôtures de sécurité, où elle se calle lourdement en soufflant. Devant nous s'étend une gigantesque Madone -la vierge Marie tenant bébé Jésus- renfermant une sorte de chapelle. Quelques sapins bordent la muraille entourant l'édifice.
    Paule se détourne, ses mains empoignent l'extrémité de la clôture et ses pieds battent l'air, un geste assez dangereux étant donné l'éventuelle chute mortelle plus bas.
    Elle fixe le ciel maussade, blanc comme un linge.
    Je m’accoude à ses côtés.
    Après quelques minutes, la demoiselle se détache de sa contemplation, lorgne vers moi, prenant sur le fait mon indiscret coup d’œil.
    Ses prunelles bleues-vertes pâles, d'une teinte venimeuse et aristocrate, inspirant à la turquoise, ne me quittent pas. Fléchir me démange.
    Elle arrache son regard de moi environ une demi-minute plus tard, pour farfouiller dans son sac. La demoiselle en sort son appareil photo –professionnel, il a dû coûter les yeux de la tête, et le long objectif qu'elle y met tout autant.
    Elle prend plusieurs photos de la prodigieuse vue ; de mignons villages aux couleurs ternes en premier plan, quelques voitures en circulation, des villes et des usines modernes plus loin, et des rangées de montagnes en arrière-plan.
    Puis elle me dit d'approcher, se penche légèrement pour que je voie mieux l'écran de son appareil.
    La rousse finit par prendre appui contre mon torse, et commence à faire défiler des images... De moi. Je lâche une petite exclamation. Je n'ai rien vu venir. Des photos de passants assez extravagants, des voitures de luxe, ou encore de quelques lycéens, de bâtiments, de la forêt et du petit local... Toujours ponctuées par des clichés de moi.
    « J'ai pris goût à la photo lorsque j'ai commencé à prendre le métro', à mon entrée en seconde, explique Paule en fixant intensément l'appareil entre ses mains, tous ces gens qui s'côtoient sur les quais, ces amoureux transis, ces blasés, ces travailleurs en costard, ces hommes louches ou ces tatoués... Leur différence stylistique m'a toujours fascinée. Puis leur mine heureuse à la vue de messages ou lorsqu'ils jouent à un jeu sur portable... J'ai voulu immortaliser ces personnes et j'ai appris à les prendre en photos discrètement. »
    Elle range l'appareil.
    Je lui souris en acquiesçant, ce qui l'encourage à achever :
    « Enfin, maintenant c'est fini, aucun métro ne traverse la banlieue. Mais comme tu peux l'voir, mes habitudes sont un peu ressorties aujourd’hui. Ça faisait longtemps que j’avais pas pris en photo un aussi joli minois, ça m’avait manqué » lance-t-elle, non sans un soupçon d'humour.
    Je vire. Un peu. Et je ricane, doucement, quelques secondes. Et puis... Et puis plus rien. Plus un son, sinon le sifflement du vent qui fouette les feuillages et la sculpturale Madone, pendant deux ou trois minutes.
    Paule lève la tête, les yeux mi-clos.
    « J’ai eu une période de misanthropie à un moment donné. (Sa voix prend une tonalité empreinte d'une vague souffrance.) J'étais affreusement seule. Tu devrais arrêter de te pourrir la vie, t’adapter, devenir plus social. T’aurais moins de problèmes, déjà. »
    Combien de fois m’a-t-elle rabâché que je devais changer ? J’esquisse mon rictus ironique propre à ce sujet.
    « Non. »
    Ses traits se crispent.
    « Je ne suis pas misanthrope, ni vraiment asocial. Je n’ai aucune envie de sympathiser avec des gens pareils, c’est tout », j’ajoute.
    Paule sait bien qu’aborder ce sujet ne me plaît pas. Elle révèle un nouveau trésor de l'objet en cuir noir : une barre chocolatée. La demoiselle croque dedans, et la fait tournoyer circulairement devant mon nez, pour l'immobiliser progressivement. Sans laisser paraître le moindre signe avant-coureur, j’élance prestement ma mâchoire, qui ne rate pas sa cible.
    Un large sourire s'étend adorablement sur son beau visage, tandis que mes papilles gustatives s'imprègnent de la saveur chocolatée, avant que je n'avale le morceau broyé.
    L'espiègle rousse s'adosse de nouveau à moi, pesant de tout son corps. Cette fois-ci, aucune raison pratique.
    « Donne-moi ta main. »
    Je la tends fébrilement sur sa gauche, avisant que la demoiselle ne dépose la sienne en son creux, mais pas trop sûr non plus. Je sens sa paume glisser délicatement contre la mienne, puis ses doigts se mêler aux miens. Elle laisse tomber nos mains enlacées sur sa cuisse, puis clôt les paupières.
    « Je m’inquiète pour toi. »
    Prompte oscillation des sourcils.
    « T’es sûr que ça va ? Que t’es heureux ?
    -Je vais bien. Et j’essaye de conserver mon bonheur.»
    Elle incline la tête pour croiser mon regard. Elle tire une tête d’enterrement.
    Je m’esclaffe gaiement en lui pinçant la joue.
    « Je m’en sors. Mais tu sais bien que j’ai mes petits soucis du quotidien. Ce n’est qu’une question de temps pour qu’il ne soit plus mis en cause. »
    Sa mine s’éclaire.
    Je consulte l'heure de mon portable. Vingt heures et quelques. Les cours finissent tard, le lundi, et nous avons peu de temps à nous par la suite.
    « Tu devrais prévenir tes parents. »
    Elle rédige aussitôt un message à leur intention.

    Le soleil s'est couché, le morne bleu pâle de la voûte céleste est dévasté par les ténèbres de la nuit. Les feuillages des alentours particulièrement ruraux, malmenés par le vent, produisent un bruissement harmonieux et quiet.
    Seule la lumière de pénombre nous éclaire. Cette atmosphère me plaît. Combien de fois avais-je marché seul le soir, une étrange sensation de bien-être embaumant mon cœur, alors que j’échappais tout juste à la ceinture de mon géniteur ? Ce plaisir simplet ne me lassera jamais.
    Il n'y avait plus de bus, alors nous avions entamé le chemin du retour à pied, au plus grand malheur de Paule. Elle branche ses écouteurs à son téléphone, m’en tend un au passage, puis ne pipe plus mot.
    Je le saisis.
    Paule écoute essentiellement des mélodies, sans paroles, ou très peu. Bien que je les trouve assez atypiques, elle a de bons goûts.
    Une mélodie douce commence. Je m’immerge en cette musique enivrante. Elle me captive.
    Nous avons marché un petit moment, tandis que les pistes auditives défilent dans nos oreilles, pour arriver au carrefour censé nous séparer.
    À ce moment-là, je la surpris mirant vers moi, une expression chaleureuse au visage. En un accord tacite -et ce qui me paraît plus qu’évident-, je la raccompagne chez elle.
    Un faubourg campagnard, des rues et des rues plus tard, et encore quelques tracks après, nous nous arrêtons en face de la villa coquette où elle demeure. Sur le bas côté se trouve un garage, abritant une belle Mercedes Benz. Une grande allée mène à l’habitation, cette dernière s'étendant sur trois ou quatre étages et possédant une terrasse luxuriante avec véranda. Le jardin est fleuri à souhait, et on peut voir une bâche rabattue sur une piscine. Un véritable bout de paradis mondain.
    Par ailleurs, c'est un coin renfermé et peu fréquenté, avec un vis-à-vis presque inexistant. Je n'aurais pas été rassuré de la laisser seule, surtout avec l'incident de ce midi.
    Elle range ses écouteurs, s'avance vers le portail. Les notes sont remplacées par les chuchotements indiscrets des grillons. La demoiselle glisse une petite pince dans le verrou, qui ouvre aussitôt l'accès à la maison.
    Paule se met sur la pointe des pieds et dépose un baiser sur ma joue, me sortant de ma torpeur par la même occasion.
    Elle trouve ça cucu la praline, d’ordinaire. Je me suis imaginé rougir à l’instar de Cédric recevant un baiser de Tchen, ce qui me donna un aspect enfantin de la scène. Et je me sens obligé de justifier cette pensée, comme un vulgaire charlatan devant un public indigné d’un spectacle faussé, lynché de tomates. Il essaierait de le convaincre tant bien que mal.
    « Merci. Fais de beaux rêves », susurre-t-elle.
    Paule est Paule.
    Je suis Xander. Et je ne rougis pas !


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  • Celestial ValkyrieJe me tiens à l'écart, derrière. Des garçons cherchent à ménager une discussion avec Paule. J’ai appris bien assez tôt à ne pas m’en mêler.
    Je lève le nez au ciel tandis que la lycéenne pénètre dans l'arrière-cour, s'arrête près d'un portail, se retourne et fait une moue agacée, puis demande catégoriquement à la troupe de la laisser. Ils l'écoutent, certains en proférant d’odieuses insultes, d'autres des jérémiades, déçus. Encore raté, les gars. Vincent s’arrête, me dévisage une fraction de seconde en arborant une moue dédaigneuse. En une ultime provocation, il tonne à l’adresse de Paule : 
    « Putain d’antisocial ! Tu lui trouves quoi, bordel ?! Quelque chose qu’on voit pas, hein, p’tite salope ! »                       (Artiste : Celestial Valkyrie)

    Et il reprend aussitôt sa marche, me foudroyant d’une œillade furibonde spontanément imitée par ses sbires.
    Je suis étonné qu’un imbécile illettré connaisse un tel terme. J’étais sur le point d’aller défendre l’intéressée, mais cette dernière a haussé les épaules avec indifférence.
    « La guerre pour la charmante Paule est finie ! clame-t-elle en levant mon poing.
    -On attend la suivante…
    -Ca te dit qu’on change d’air aujourd’hui ? »
    Elle rive le visage vers le portail. Je ne peux refouler un sourire.
     « Et comment. 
    -Tu m’aides à monter ? »
    Je la saisis par les hanches et la soulève. Elle se cramponne à la barrière, saute de l'autre côté, et je l’y rejoins.
    Paule écarte les bras, émerveillée. Les feuillages sont denses et ne laissent pas filtrer la lumière, il fait donc plutôt sombre. 
    « Putain, on aurait dû y venir plus tôt ! » s’exclame-t-elle.
    Elle se balade telle une enfant joyeusement partie en expédition, fouinant çà et là en l'espoir de faire quelques découvertes palpitantes.
    Au loin, nous percevons un mur de béton, encore caché par le paysage. L'adolescente se réjouit de sa trouvaille et accourt.
    C’est une petite bâtisse abandonnée, recouverte d'une mousse d'un vert vif. En exhale une atmosphère... Différente, ambiguë. Comme sortie d'un autre monde. Il n'y a aucun arbre aux alentours, ils ont été coupés. Le local est par conséquent baigné d'une lumière criarde qui le met étrangement en évidence.
    Sans hésitation, Paule pousse la porte noire, style gothique. Elle grince sinistrement.
    À l'intérieur, des plantes prolifèrent, et il y a toujours cette mousse verdâtre. De mignonnes fenêtres anachroniques laissent pénétrer quelques rayons de soleil dans la pièce ; il y a une grande armoire rongée par les mites, une table dans un état similaire entourée de chaises métalliques, un lit de fortune délabré.  Une multitude de détritus gisent à terre, dont des habits sales, des boîtes de conserves éventrées et encore d’autres choses non identifiées. Dans un petit recoin sont disposés des seaux destinés à contenir l’eau des toilettes et de la douche, qui elles sont totalement abjectes et nauséabondes.
    « Quelqu'un a vécu ici, je constate.
    -Et je me demande sincèrement comment il a fait, commente Paule en fronçant les sourcils et en plissant légèrement les yeux avec révulsion.
    -On a qu'à prendre les chaises et s'asseoir dehors. Elles sont en bon état. »
    La jolie rousse opine, et je saisis les dossiers de deux d'entre elles.
    J'entends son sac tomber au sol. 
    Lorsque je fais volte-face, elle a les mains plaquées sur la tête, un homme en piteux état -barbe non entretenue, malpropre, habits abîmés- a fait son entrée derrière elle, une arme à feu dangereusement plantée dans son cou.
    Paule me fixe, les yeux grands comme des soucoupes. 
    Des mots à peine audibles dégoulinent de ses lèvres tremblantes. Elle n'ose même pas suffoquer.
    Mes mains se dérobent des deux dossiers, les chaises se fracassent à terre à leur tour. Je pourrais croire que les lestes battements de mon cœur sont perceptibles. Ma gorge se noue, ma respiration se saccade. Mes sens sont en alertes. 
    « Excusez-nous... On ne savait pas que c'était habité. On... On va... Partir. Enlevez votre arme, je vous en prie » je balbutie, affolé, d'une voix étranglée.
    L'homme nous toise un à un, son regard bleuté nous électrise. Il écarte l'arme de Paule, doucement. Elle se rue vers moi, m'étreint en se blottissant contre mon torse, flageolante et en larmes. Je la serre contre moi pour la réconforter, passant une main dans ses cheveux et lui ânonnant les classiques phrases rassurantes. 
    L'adulte est vêtu d'une blouse blanche propre aux scientifiques, d'un T-shirt déchiré et d'un jean. Ses bras ballants le long de son corps maigre renferment la belle arme avec laquelle il a mis Paule en joue.
    Un certain charisme émane de lui, malgré son état déplorable. 
    « Je suis désolé, les enfants. Déguerpissez d'ici. »
    Sa voix se veut rassurante. Une voix de papa. De bon papa. 
    Paule ne se fait pas prier. 
    Je pose une main contre l'encadrement de la porte et je tourne la tête pour le dévisager grièvement. J'expose ma déduction : 
    « Vous êtes recherché. »
    Il lâche un soupir et pose ses mains sur la table -comme lorsqu’on fait un tapis au poker-, résolu. 
    « Aidez-moi.
    -En quel honneur ? je lance altièrement. 
    -Je vous aiderai aussi.
    -On a pas besoin d'aide.
    -Bien plus que tu peux le croire. »
    Après un court silence, je demande : 
    « Votre nom ? 
    -Victor Ogerau. Mais appelle-moi simplement Victor.»
    J'ôte ma main de l'encadrement et m’empare du sac de Paule, ce qui l'alarme de mon départ. 
    « Réfléchis-y », profère-t-il en un dernier conseil, tandis que je disparais. 
    J’arrive au pied du portail. Paule m’attend, blême. Je lui jette un regard désolé et l’aide à grimper.


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  • Chapitre 1 : Part 1

    Un vacarme pluvial s'abat sur nos contrées lyonnaises. J’observe mélancoliquement les filets d'eau défiler devant ma fenêtre.
    Aussi loin que mes souvenirs remontent, j’ai toujours aimé la pluie. Lorsqu'il y a des averses, le claquement de la pluie ressemble à des applaudissements, et quand il n'y a qu'une rosée, je me dis que le ciel a aussi le droit de pleurer de temps en temps.
    L'hystérique voix maternelle me vrille les tympans, laquelle m'ordonne de m'accoler aux tâches ménagères dont elle est particulièrement maniaque ces derniers temps. C’est agaçant.
    Silence, immédiatement brisé par la récurrence de ses cris. Je rétorque avec lassitude et m’exécute, à l'instar des poncifs sociétaux traitant des employés amorphes et flemmards.
    Quelques semaines ont passé depuis l'hospitalisation de mon géniteur, Zack Rill, ce qui rend ma mère très nerveuse. Exempt le fait que les visites soient refusées catégoriquement et qu'il soit traité méticuleusement, le virus qu’il a contracté demeurant un cas encore inexploré, nous ne savons rien. Maman s’occupe donc du mieux qu’elle peut et demeure davantage stricte pour éviter de vaciller dans des songes négatifs et nous inquiéter. Sa façon à elle d’être forte la journée, de garder la tête haute.
    Le soir, elle ne peut pas. Seule dans le lit double, la lancinante réalité revient au galop.
    Maman est la seule personne que j’admire, et nous sommes pourtant si différents. D’ailleurs, je ne me rappelle pas avoir déjà rencontré quelqu’un me ressemblant.
    Sa manière de faire les choses lui est propre, et lui a toujours réussie. Ma mère fait partie des vainqueurs, des premiers, des prodiges, de ceux qui font tout mieux que nous peu importe le domaine, de ceux qui nous font jalouser. Dotée d’un talent éminent. L’amour qu’elle porte à Zack de manière démesurée est l’unique fait qui m’échappe.
    Après avoir astiqué ma chambre-mezzanine, je rabats ma capuche et me hisse sur le toit par le biais de la fenêtre. Le ciel est parsemé d'éclairs hasardeux, accompagnés des puissantes pétarades du tonnerre, au loin. Pas une voiture ne circule dans les villes obscures que j’observe.
    Autrefois, je me réfugiais ici pour fuir Zack.
    Zack me séquestrait des journées entières pour me faire étudier, allant jusqu’à lacérer mes membres avec sa ceinture, une règle, ce qu’il trouvait sur place… Pourtant, mes notes n’étaient pas catastrophiques, il avait des méthodes bien tatillonnes. Ses efforts pour me voir exceller s’étaient avérés vains. Peu importe ses sévisses, il me retrouvait toujours à gribouiller sur un morceau de papier, voire la table, au pire. En voyant que rien n’y faisait, il avait tout misé sur mes deux sœurs cadettes, Ashley et Mégane. L’influence paternelle avait sitôt fait effet, nous pouvions aisément me comparer à Calimero l’esseulé. Mégane est exécrable et Ashley m’évite prodigieusement, si elle ne me parle pas avec une certaine condescendance… Je suppose que sans mère, j’aurais été réduit à l’état de martyr (et que j’aurais été contraint d’appeler le 119).
    Je me rappelle que je suis dangereusement exposé en mirant vers l'antenne parabolique à mes côtés. Je lève la tête, profite d'un dernier instant d'air frais. La pluie attaque mes cheveux, mon visage.
    Je redescends et m’écroule sur mon lit, fixant les averses s'écraser contre la vitre translucide, immobile. Les gouttes qui m’ont trempé dégoulinent régulièrement contre la literie.
    J’entends une plainte, non loin. Des lamentations, entrecoupées de sanglots.
    A l’accoutumée, je dévale prestement et bruyamment les escaliers. Les gémissements me mènent vers mon gigantesque placard, s’étalant sur la majeure partie de la hauteur et toute la largeur de la pièce. J’ouvre les battants et découvre Mégane, étalée en position fœtale et en larmes. Probablement anxieuse pour l’Hospitalisé.
    « Qu’est-ce que tu fais ici ? crache-t-elle en me foudroyant du regard.
    Je soupire.
    « C’est pas plutôt à moi de te demander ça ? Tu es dans ma chambre.
    -T’as jamais été le bienvenu à la maison. C’est pas TA chambre. »
    Mes poings se serrent à m’en faire mal.
    « Va-t’en, je ne vais pas me retenir plus longtemps de t’en coller une.
    -T’es un monstre, Xander ! » glapit-t-elle en décampant.

    Le soleil m'aveugle. Remarquable disparité, âpre réveil. Je mets ma main devant mes yeux, sournoisement agressés.
    Je pose un pied ankylosé de paresthésie et entame ma démarche rituelle des périodes scolaires.
    J’aimerais pouvoir me réveiller en percevant Maman fredonner en préparant le petit-déjeuner, en croisant le regard chaleureux d’un Papa qui lèverait le nez de son journal, et en passant la main dans les cheveux des deux petites sœurs de mes rêves. Osez me dire qu’ « On a toujours le choix », après…
    Quoi qu’il en soit, ce genre de songes mirifiques constitue une ascension simple vers la dépression. Si cet idéal inaccessible demeure démoralisant, être témoin de la décadence des coutumes de la maison l’est davantage.
    Il est six heures cinquante, le salon et la cuisine sont complètement vides, et il n’y a que le frottement de mes chaussettes sur le carrelage qui témoigne d’une quelconque activité humaine ; les volets sont clos, la lumière du jour tente vainement de pénétrer dans la bâtisse. Même le plus désagréable des ronflements m’aurait paru cristallin.
    L’obscurité et le silence président et confèrent une atmosphère pesante, et je n’ai nul doute que n’importe qui ressentirait un pincement au cœur à cette vue.
    Mon téléphone vibre et me sauve de la pendaison. Les messages matinaux sont un délice qui prouve que quelqu’un vous octroie ses premières pensées. Inopiné frisson de bien-être. Je me contente d’ouvrir les volets.
    Après quelques manœuvres inintéressantes, la porte claque. Une paupière de Willys se soulève spontanément, l’espoir de se dégourdir les pattes chevillé au cœur. En constatant mon expression indifférente, elle se rabaisse aussitôt, le pauvre husky se replongeant dans les bras de Morphée.
    D’ordinaire, Willys est tout ce qu’il y a de plus énergique. Qu’il sorte bien moins parce que Zack n’est plus là pour le faire, c’est une chose, qu’il soit privé de son maître bien-aimé en est une autre, et davantage accablante pour lui.
    J’aurais largement préféré qu’il soit de retour plutôt que d’être témoin du spleen de deux êtres que j’aime.
    Je me recroqueville et lui caresse le chanfrein. Et je prends la tangente.

    La légère brise matinale taquine le peu de verdures alentours et quelques uns de mes cheveux ébène. Je débouche sur une rue d'une couleur terreuse vieillie, cafardeuse et fade, bordée de boutiques aux devants peu pimpants et de la nationale, grisâtre et polluée par le trafic.
    Les véhicules me frôlent, faute d’un passage piéton plus large et de barrières de sécurité. Et croyez-moi, dans une banlieue bondée de malades mentaux, il y a à craindre pour sa vie ; en particulier quand le rugissement fou de voitures filant à toute allure est constant -et celui des ambulances presque autant.
    Deux camarades de classe attirent mon attention.
    Ils grimacent en lorgnant vers un garçon viscéralement exclu, tentant de se joindre à eux. Replet et binoclard, habillé de son éternelle tenue de sport Adidas, des cheveux bruns sans volume étalés en pâté sur son crâne rondelet, la démarche grossièrement oblique. Jugé trop débile et moche pour être accepté.
    Ils accélèrent le rythme pour le semer. L'autre n'étant pas non plus en déficit mental, comprend, abdique. Il marche penaud, piteusement rejeté. Comble de l'humiliation pour lui, ils étouffent quelques rires fielleux et juvéniles, en le regardant sarcastiquement du coin de l'œil. J'ai appris à mes dépens que la mentalité ne volait pas haut, ici.
    J’offre un large sourire prolongé au ciel, désireux de conserver ma bonne humeur. En rabaissant la tête, j’aperçois l'enceinte du lycée. Des autocollants présentant les structures sont collées aux belles vitrines légèrement assombries, qui elles laissent entrevoir le secrétariat et d'autres bureaux administratifs ainsi que le couloir permettant l'accès à une arrière-cour, qui donne sur le self, le stade, le gymnase, des cours et aux différents bâtiments scolaires. Un tout sobre et chic, neuf, contrastant avec la ZUP cramoisie qu'est la ville.
    La plupart cigarettes au bec, pourvus de leurs petites manières de crâneurs, les lycéens discutent devant.
    Mes bras nus laissent paraître mes cicatrices rougeoyantes à la chaleur printanière. Par malheur, j’ai dare-dare constaté qu’elles sont très voyantes : quelqu'un m'attrape sournoisement le poignet, de façon à les mettre en avant.
    « Qu'est-ce que t'as aux bras, là ? » lance un garçon au teint basané, assez svelte, en reluquant vers mes cicatrices, qui ne sont autres que des souvenirs de la sombre époque où Zack me battait.
    J’hausse les épaules sans le regarder et m’apprête à poursuivre ma route. Pourtant, il ne lâche pas mon poignet, au contraire, il raffermit son étreinte.
    « Ça vient d'où, ça ? insiste-t-il.
    -J'suis tombé », je réponds formellement.
    Il lâche le morceau, proportionnellement à mes un mètre quatre-vingt-cinq et à ses un mètre soixante. Rien de plus qu'un imbécile ressentant le besoin d'attirer des problèmes.
    Je rejoins Paule, qui m’accueille en m’enlaçant. Paule Barret est ma meilleure amie, une fille au look assez grunge que je connais depuis un bail. Des cheveux teintés rouge sang, une lèvre inférieure ornée d’un piercing circulaire, un corps doté de courbes très féminines : un tout excentrique, mais qui n’en est pas moins sympathique à admirer. Aujourd’hui encore, elle est toute de noir vêtue ; une ravissante robe cintrée à la taille, un collant de dentelle remontant jusqu'à ses cuisses, et des bottines.
    Le fait qu’elle ne fréquente que moi –qui ai mauvaise réputation : un mec dans un autre monde, taciturne- avait fait scandale. Ils ne comprennent pas qu’elle puisse me préférer à eux. Que nous ne soyons pas en couple avait créé des rumeurs quant à notre sexualité. Bien sûr, je fus le plus mis en cause. Paule est sociale et attirante, pas moi. Du moins, sûrement pas avec ce genre d’hyènes. Les rumeurs ne me font par conséquent aucun quartier.
    Par ailleurs, si Paule s’est retrouvée dans ce lycée-là, entourée de poltrons où elle n’affectionne pratiquement que moi, c’est parce qu’elle a été bannie de l’autre. L’enseignement y est plutôt bon contrairement aux autres lycées locaux, ce qui a été le principal facteur de la décision de ses parents.
    Dès lors, Paule a été la personne qui me sortait de ma quotidienne solitude.
    Quoi qu’il en soit, la sonnerie retentit -une mélodie jouée au piano- et nous nous engouffrons dans les enceintes.
    Fidèles à nos mœurs, nous nous terrons au fond. Elle pose son sac sur la table voisine, son fessier sur la chaise.
    L’espiègle demoiselle ne tardera pas à trouver un sujet de conversation, elle a toujours quelque chose à dire. « Surtout à toi », avait-t-elle précisé plusieurs fois, comme si j’étais une personne des plus distrayantes.
    « Valentin menace encore de se suicider si je ne sors pas avec lui », commence solennellement l’adolescente.
    Je la fixe, silencieux. La demoiselle me retourne mon sérieux, mais ses yeux ne tardent pas à se plisser, et elle passe sa main devant sa bouche. Elle étouffe un gloussement et poursuit :
    « Qu’est-ce qu’il va faire, cette fois, à ton avis ? Se droguer au Doliprane périmé et finir avec une diarrhée carabinée tout le week-end ? Boire 2 centilitres de bière de son père et se prendre une tannée ? Se "tailler " les veines avec un couteau à beurre ?
    -Mais t’es un monstre ! »
    Nous éclatons de rire.
    La tonitruante voix du professeur d’histoire et géographie - Monsieur Laval- nous interrompt, s’élève, coïncidant avec l’instant où la mienne s’éteint.
    « Rill, de son prénom Xander ! Je vois que vous n’êtes toujours pas allé soigner vos démangeaisons buccales. Et vous savez bien que je ne tolère aucun perturbateur dans mon cours. Que diriez-vous d’aller parler aux murs, dehors ? »
    Mon laxisme n’a jamais plu aux professeurs, et surtout à celui-ci, plutôt soupe au lait. Contrairement à pléthore d’insolents appréhendant l’heure de colle (paradoxe, puisqu’ils risquent plus à tenter de marchander avec l’enseignant), je ne me fais pas prier pour sortir. En slalomant entre les rangs, j’ouïs quelques injures tournant autour du « Cher ! ».
    « Vous feriez mieux de prendre exemple sur vos sœurs. J’ai eu de très bons échos d’elles » tranche Monsieur Laval.
    "Echo" est le mot par excellence qui signifie les caquètements fourbes de la salle des professeurs.
    Je me suis davantage empressé. Les couloirs sont obscurs et vides. Je m’adosse au mur de façon à ce qu’on n’aperçoive pas mon téléphone auquel cas quelqu’un aurait entrepris une patrouille dans les locaux, et je sors l’appareil en question. Paule m’a déjà envoyé un message.

    Paule : De plus en plus rapide et toujours aussi discret !
    Xander : Ça a jamais été mon truc la discrétion. :(
    Paule : Tu veux pas que je te commande une arme chez les trafiquants ? ‘Y en a qu’auraient besoin d’être remis à leur place, Vincent t’a fait un doigt. Je t’assure, je te la paye, ça me ferait plaisir.
    Xander : Si tu savais à quel point je m’en moque.
    Paule : T’es bien ma victime préférée. Fais-moi signe si tu changes d’avis. %D
    Paule : Laval a demandé à ce qu’on te dise de revenir. Range-moi vite ça, l’indiscrétion à ses limites !

    Je remets immédiatement mon téléphone en place. Une nanoseconde plus tard, la porte s’ouvre sur Yassir, l’élève le plus proche de cette dernière.
    « Reprenez votre lecture là où elle en était, Jenny. Quant à vous, Xander, faites-vous petit.»
    La suite des cours s’est déroulée sans embûches. J’ai sorti mon fidèle calepin, histoire de ne pas finir avachi sur mon bureau, mû de lassitude des cours qui m’ennuient tant, et j’ai commencé à griffonner tout en glissant quelques mots à Paule, plus discrètement cette fois-ci. J’ai replié un classeur pour restreindre la visibilité du professeur et celle de ma voisine, qui avait tenté plusieurs fois le diable : voir ce que je consignais là-dedans. Une grande curieuse. Je n’ai jamais voulu qu’on m’observe dessiner ou écrire.
    Retentit alors la sonnerie de midi, me libérant de l’emprise des instituteurs et de la proximité de ces mécréants.


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