• Inéluctable - Chapitre 1 : Part 3

    Chapitre 1 : Part 3

    Paule ne fut pas loquace pour les cours de l'après-midi, ce qui était compréhensible. Elle était encore en état de choc.
    Cet amour de la vie est mignon.
    « Emmène-moi à un bel endroit. »
    Paule n’étant pas tout à fait du coin, j’ai une meilleure connaissance des lieux. Je passe un doigt sur mes deux piercings au labret.
    « Il n'y en a pas vraiment, par ici... je réponds, dubitatif. Enfin, ce n'est pas très gai.
    -C'est ?
    -Le cimetière. Je doute que ça te change les idées... »
    Effectivement, Paule n'a pas l'air très emballée.
    « Et si on prend l'bus ?
    -Un lac. Ou une jolie vue en hauteur.
    -Le deuxième », rétorque l'adolescente en me pourvoyant d'un faible sourire.
    Nous attendons côte à côte, à l'arrêt.
    « T'es quand même, euh... Assez bizarre. Nan, t’es carrément bizarre.
    -Tu devrais le savoir depuis le temps, rigolé-je.
    -Pas à ce point ! Ça t'a à peine remué les tripes tout à l’heure. Tu sais, réflexes de survie, la peur de mourir... On dirait que t'y tiens pas, t'es même resté discuter.
    -Oh, c'est pas un type dangereux, ça s'voyait. Juste désespéré. »
    Elle ouvre de grands yeux.
    « Tu te bases sur de simples intuitions ? De mieux en mieux, tu mets ta vie en jeu, tu sais...
    -S’il avait voulu nous tuer, il t’aurait descendue à la seconde où il t’a vue.
    -Pas faux. Au fait, t’es resté plus longtemps que moi. Qu'est-ce qu'il t'a dit ?
    -Hum... Il serait peu judicieux de t'en parler », je murmure.
    Le bus débarque. Nous entrons sans payer.
    La jeune femme s'assoit en face de moi et me scrute, intriguée.
    J’inspire et respire sentencieusement, pour expliquer brièvement :
    « C’est juste un type dans le besoin.
    -Quel culot », s'agace-t-elle en grimaçant.

    La route pentue l'ayant fatiguée, je l’aide dans son ultime montée : les escaliers. Elle se cramponne à moi jusqu'aux clôtures de sécurité, où elle se calle lourdement en soufflant. Devant nous s'étend une gigantesque Madone -la vierge Marie tenant bébé Jésus- renfermant une sorte de chapelle. Quelques sapins bordent la muraille entourant l'édifice.
    Paule se détourne, ses mains empoignent l'extrémité de la clôture et ses pieds battent l'air, un geste assez dangereux étant donné l'éventuelle chute mortelle plus bas.
    Elle fixe le ciel maussade, blanc comme un linge.
    Je m’accoude à ses côtés.
    Après quelques minutes, la demoiselle se détache de sa contemplation, lorgne vers moi, prenant sur le fait mon indiscret coup d’œil.
    Ses prunelles bleues-vertes pâles, d'une teinte venimeuse et aristocrate, inspirant à la turquoise, ne me quittent pas. Fléchir me démange.
    Elle arrache son regard de moi environ une demi-minute plus tard, pour farfouiller dans son sac. La demoiselle en sort son appareil photo –professionnel, il a dû coûter les yeux de la tête, et le long objectif qu'elle y met tout autant.
    Elle prend plusieurs photos de la prodigieuse vue ; de mignons villages aux couleurs ternes en premier plan, quelques voitures en circulation, des villes et des usines modernes plus loin, et des rangées de montagnes en arrière-plan.
    Puis elle me dit d'approcher, se penche légèrement pour que je voie mieux l'écran de son appareil.
    La rousse finit par prendre appui contre mon torse, et commence à faire défiler des images... De moi. Je lâche une petite exclamation. Je n'ai rien vu venir. Des photos de passants assez extravagants, des voitures de luxe, ou encore de quelques lycéens, de bâtiments, de la forêt et du petit local... Toujours ponctuées par des clichés de moi.
    « J'ai pris goût à la photo lorsque j'ai commencé à prendre le métro', à mon entrée en seconde, explique Paule en fixant intensément l'appareil entre ses mains, tous ces gens qui s'côtoient sur les quais, ces amoureux transis, ces blasés, ces travailleurs en costard, ces hommes louches ou ces tatoués... Leur différence stylistique m'a toujours fascinée. Puis leur mine heureuse à la vue de messages ou lorsqu'ils jouent à un jeu sur portable... J'ai voulu immortaliser ces personnes et j'ai appris à les prendre en photos discrètement. »
    Elle range l'appareil.
    Je lui souris en acquiesçant, ce qui l'encourage à achever :
    « Enfin, maintenant c'est fini, aucun métro ne traverse la banlieue. Mais comme tu peux l'voir, mes habitudes sont un peu ressorties aujourd’hui. Ça faisait longtemps que j’avais pas pris en photo un aussi joli minois, ça m’avait manqué » lance-t-elle, non sans un soupçon d'humour.
    Je vire. Un peu. Et je ricane, doucement, quelques secondes. Et puis... Et puis plus rien. Plus un son, sinon le sifflement du vent qui fouette les feuillages et la sculpturale Madone, pendant deux ou trois minutes.
    Paule lève la tête, les yeux mi-clos.
    « J’ai eu une période de misanthropie à un moment donné. (Sa voix prend une tonalité empreinte d'une vague souffrance.) J'étais affreusement seule. Tu devrais arrêter de te pourrir la vie, t’adapter, devenir plus social. T’aurais moins de problèmes, déjà. »
    Combien de fois m’a-t-elle rabâché que je devais changer ? J’esquisse mon rictus ironique propre à ce sujet.
    « Non. »
    Ses traits se crispent.
    « Je ne suis pas misanthrope, ni vraiment asocial. Je n’ai aucune envie de sympathiser avec des gens pareils, c’est tout », j’ajoute.
    Paule sait bien qu’aborder ce sujet ne me plaît pas. Elle révèle un nouveau trésor de l'objet en cuir noir : une barre chocolatée. La demoiselle croque dedans, et la fait tournoyer circulairement devant mon nez, pour l'immobiliser progressivement. Sans laisser paraître le moindre signe avant-coureur, j’élance prestement ma mâchoire, qui ne rate pas sa cible.
    Un large sourire s'étend adorablement sur son beau visage, tandis que mes papilles gustatives s'imprègnent de la saveur chocolatée, avant que je n'avale le morceau broyé.
    L'espiègle rousse s'adosse de nouveau à moi, pesant de tout son corps. Cette fois-ci, aucune raison pratique.
    « Donne-moi ta main. »
    Je la tends fébrilement sur sa gauche, avisant que la demoiselle ne dépose la sienne en son creux, mais pas trop sûr non plus. Je sens sa paume glisser délicatement contre la mienne, puis ses doigts se mêler aux miens. Elle laisse tomber nos mains enlacées sur sa cuisse, puis clôt les paupières.
    « Je m’inquiète pour toi. »
    Prompte oscillation des sourcils.
    « T’es sûr que ça va ? Que t’es heureux ?
    -Je vais bien. Et j’essaye de conserver mon bonheur.»
    Elle incline la tête pour croiser mon regard. Elle tire une tête d’enterrement.
    Je m’esclaffe gaiement en lui pinçant la joue.
    « Je m’en sors. Mais tu sais bien que j’ai mes petits soucis du quotidien. Ce n’est qu’une question de temps pour qu’il ne soit plus mis en cause. »
    Sa mine s’éclaire.
    Je consulte l'heure de mon portable. Vingt heures et quelques. Les cours finissent tard, le lundi, et nous avons peu de temps à nous par la suite.
    « Tu devrais prévenir tes parents. »
    Elle rédige aussitôt un message à leur intention.

    Le soleil s'est couché, le morne bleu pâle de la voûte céleste est dévasté par les ténèbres de la nuit. Les feuillages des alentours particulièrement ruraux, malmenés par le vent, produisent un bruissement harmonieux et quiet.
    Seule la lumière de pénombre nous éclaire. Cette atmosphère me plaît. Combien de fois avais-je marché seul le soir, une étrange sensation de bien-être embaumant mon cœur, alors que j’échappais tout juste à la ceinture de mon géniteur ? Ce plaisir simplet ne me lassera jamais.
    Il n'y avait plus de bus, alors nous avions entamé le chemin du retour à pied, au plus grand malheur de Paule. Elle branche ses écouteurs à son téléphone, m’en tend un au passage, puis ne pipe plus mot.
    Je le saisis.
    Paule écoute essentiellement des mélodies, sans paroles, ou très peu. Bien que je les trouve assez atypiques, elle a de bons goûts.
    Une mélodie douce commence. Je m’immerge en cette musique enivrante. Elle me captive.
    Nous avons marché un petit moment, tandis que les pistes auditives défilent dans nos oreilles, pour arriver au carrefour censé nous séparer.
    À ce moment-là, je la surpris mirant vers moi, une expression chaleureuse au visage. En un accord tacite -et ce qui me paraît plus qu’évident-, je la raccompagne chez elle.
    Un faubourg campagnard, des rues et des rues plus tard, et encore quelques tracks après, nous nous arrêtons en face de la villa coquette où elle demeure. Sur le bas côté se trouve un garage, abritant une belle Mercedes Benz. Une grande allée mène à l’habitation, cette dernière s'étendant sur trois ou quatre étages et possédant une terrasse luxuriante avec véranda. Le jardin est fleuri à souhait, et on peut voir une bâche rabattue sur une piscine. Un véritable bout de paradis mondain.
    Par ailleurs, c'est un coin renfermé et peu fréquenté, avec un vis-à-vis presque inexistant. Je n'aurais pas été rassuré de la laisser seule, surtout avec l'incident de ce midi.
    Elle range ses écouteurs, s'avance vers le portail. Les notes sont remplacées par les chuchotements indiscrets des grillons. La demoiselle glisse une petite pince dans le verrou, qui ouvre aussitôt l'accès à la maison.
    Paule se met sur la pointe des pieds et dépose un baiser sur ma joue, me sortant de ma torpeur par la même occasion.
    Elle trouve ça cucu la praline, d’ordinaire. Je me suis imaginé rougir à l’instar de Cédric recevant un baiser de Tchen, ce qui me donna un aspect enfantin de la scène. Et je me sens obligé de justifier cette pensée, comme un vulgaire charlatan devant un public indigné d’un spectacle faussé, lynché de tomates. Il essaierait de le convaincre tant bien que mal.
    « Merci. Fais de beaux rêves », susurre-t-elle.
    Paule est Paule.
    Je suis Xander. Et je ne rougis pas !


  • Commentaires

    1
    Vendredi 6 Septembre 2013 à 15:14

    C'est beau, à la fois mélancolique, doux, chaleureux....
    J'aime beaucoup alors j'espère que vous n'allez pas laisser cette merveille et continuer à écrire l'histoire des ces deux jeunes gens.

    2
    Vendredi 6 Septembre 2013 à 16:37

    Oh, merci beaucoup !
    Eh non, je ne compte pas laisser ce projet de si tôt, de plus que j'ai la conviction et l'envie de progresser dedans. :) 

    3
    Vendredi 6 Septembre 2013 à 17:17

    Il n'y a pas de quoi.Bien dans ce cas, je vais attendre sagement la suite. :]

    4
    Vendredi 6 Septembre 2013 à 22:32

    Le chapitre 2 est presque fini. Et là, c'est la fin du chapitre 1. Mais en ce moment ma progression est lente, il faut que je m'y remette, de plus que mon esprit fertil me pond encore des idées qu'il faut absolument que j'écrive, erzerr redfpobpdf.

    J'avais peur qu'on trouve la proximité de mes deux personnages trop suscpecte avec cette partie 3, j'étais un peu inquiète. Mais je vais remettre les points sur les i par rapport à ça, hahaha. (<- Ceci est un rire à moitié diabolique.) 

    5
    Samedi 7 Septembre 2013 à 11:31

    Oh, c'est une bonne nouvelle. J'espère que le chapitre 2 sera aussi long que le premier.
    Et bien, prend ton temps, c'est un bon point que ton esprit te ponde des idées, comme ça, tu n'es pas à sec. x)

    Trop suspecte ? C'est à dire ? Pour moi, ils sont plus l'air de frères et soeurs qu'autre chose. u_u

    6
    Samedi 7 Septembre 2013 à 15:04

    Aussi long si ce n'est plus. Comme je l'ai précisé, ma fiction adopte des tailles de romans.
    Je ne le serais pas pour un bon moment, j'ai plutôt l'esprit fertile quant à cette fiction. :)

    Eh bien, j'ai une connaissance qui avait été exaspérée de leur relation. Enfin cette personne est particulièrement négative, donc bon. En tout cas ça me rassure, parce que l'histoire cucu la praline est loin d'être mon intention !  

    7
    Samedi 7 Septembre 2013 à 15:35

    Excellent, j'adore les romans, surtout les bien gros. Et bien, tu n'auras plus qu'à mettre de l'engrais dans tout ça. x)

    Exaspérée ? A ce point ? Pourtant ce n'est vraiment pas comme toutes les relations "cucu la praline" (je reprend ton expression) que l'on voit un peu partout. Justement, j'avais trouvé leur relation originale. On sent qu'ils sont proches, qu'ils forment presque une seule personne mais on voit aussi qu'ils ne sont pas comme tout le monde et c'est ce qui fait la différence. u_u

    8
    Samedi 7 Septembre 2013 à 21:06

    Eh bien tant mieux. En général sur ordi, on est moins motivés pour lire ! 

    La personne en question ne supporte pas les couples, en même temps... Mais quoi qu'il en soit, je n'ai jamais eu l'intention de faire vivre le parfait petit amour à mes protagonistes (Qui ne sont pas encore tous présents, bien évidemment). 

    9
    Dimanche 8 Septembre 2013 à 09:01

    C'est superbe, c'est calme, reposant. Il n'y a pas de dénouement par rapport au chapitre précédent mais on le lit aussi facilement et on s'immerge d'une facilité déconcertante dans l'histoire. 

    Ce n'est pas faux qu'on a moins envie de lire sur ordinateur, mais je ne pense pas que c'est dû à la flemme, en ce qui me concerne, j'ai le gros problème de lire une phrase sur deux sans mes lunettes >< (Mais je déteste les lunettes...) Tu sais, tu es gentiment en train de lire et BAM! Tu ne comprends plus la suite. Alors tu reprends depuis ta phrase d'avant et tu te retrouves avec le même problème (du coup, je lis au moins 4 fois la phrase avant de passer enfin à celle du dessous ><")

    10
    Dimanche 8 Septembre 2013 à 16:59

    Ce n'est pas un chapitre, mais une partie de chapitre, krkr. Eh bien, le calme après la tempête, il faut bien ! Mais il n'y a pas à s'inquiéter côté action, je pense. :) 

    Je pense qu'on est moins attentifs à de longs écrits. Souvent, on s'empresse de lire pour répondre ou passer à autre chose. Tu devrais prendre des lentilles dans ce cas ! 

    11
    Dimanche 8 Septembre 2013 à 18:08

    Oh, pardon, j'ai gaffé (tellement l'habitude de lire des chapitres grands comme ça sur internet que je bafouille ce mot sans prendre garde), excusez-moi, Akwoo-sensei ;w;

    Non, je te fais confiance en ce qui concerne l'action, je suis sûre que tu nous réserves de belles surprises :)

    Pas faux, mais sache que ce n'est pas mon cas :) Ca ne changerait pas grand chose, se sont des lunettes pour la maison, je ne les mets pas pour aller au lycée alors si c'est juste pour ne pas ressembler à une affreuse secrétaire, ça ne sert à rien à la maison :)

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    12
    Lundi 9 Septembre 2013 à 18:04

    Je suis clémente, allons bon. o/

    Peut-être de trop grosses et bruques même ? Vous me diriez votre avis le moment venu, et si besoin je modifierais ça. 

    Eh bien tant mieux ! Oui, effectivement. :) 

    13
    Lundi 9 Septembre 2013 à 20:42

    Merci de votre compréhension, Sensei v_v

    Pas de soucis, je serais présente pour te donner mon avis!

     

    14
    Lundi 9 Septembre 2013 à 21:17

    Merci merci. :3
    Pour l'instant je rebute sur mes idées et j'avance pas. Faut que je foute tout ça au clair. @w@"

    15
    Samedi 14 Septembre 2013 à 09:42

    Courage, tu vas y arriver :) Surprend nous!

    16
    Lundi 16 Septembre 2013 à 22:45

    Merci, merci. Va m'en falloir, faut que je reparte. ;v; 

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