• Inéluctable - Chapitre 2 : part 2

    Ce machin, c'est à la fois un truc de gros rebelle et de fragile. Je vous jure, je reconnais même pas mon pauvre Xander.
    Pardonne-moi, Xander.
    _________________________________________________________________________

    Je frappe à la porte de la salle de classe après vérification qu'aucun élément n’en dise trop sur ma sortie. En pénétrant dans la pièce, je surprends grossièrement  une trentaine de paires d'yeux rivés sur moi, des bouches grandes ouvertes, coites d'un étonnement exagéré. 
    « T'as fait quoi hier soir pour débarquer à une heure pareille, Xander ? me vanne l’illustre Vincent, tu te l’es enfin tapée ? »
    Gloussements de vengeance.
    Je croise le regard de Paule. Effaré. Je souris. 
    Je me rappelle qu’un ami du net m’avait dit que mes nerfs étaient deux cordes qui se frottaient perpétuellement l’une contre l’autre. Il avait raison, et désormais, les cordes sont très élimées. Sans réfléchir, je me précipite sur lui. Je ne sais pas vraiment où je frappe, dans le feu de l'action. La rage me rend agressif, incontrôlable. Des mains ne tardent pas à agripper mon t-shirt, des bras à se hisser autour des miens, les cris à fuser. Je me débats violemment en donnant des coups de talons, en hurlant qu'on me lâche.
    Mais ce n'est pas suffisant. Ma fureur s’apaise, et je peux contempler mon œuvre.
    Un Vincent en larmes, dont l’œil droit prend peu à peu une teinte pervenche, et dont une bosse orne le front. Deux coulées de sang émanent de son nez, striant son philtrum.
    Il fronce les sourcils, retrousse le nez, et me foudroie d’une œillade haineuse. Son bras s’élance, et il m’assène un puissant coup dans le ventre. J’en ai la respiration coupée, et les bras qui me retiennent m’empêchent de me recroqueviller. Je suffoque. Une bouffée d’air s’avère être une bénédiction après en avoir été privé.
    Lorsque je relève la tête vers Madame Fontain, le professeur qui prononcera ma sentence, son index pointe la porte.
    Ce qui signifie grosso modo que je suis viré de cours, pour le moment. Elle a été gentille.
    Ma mère sera probablement mise au courant, et j’aurais le droit à quelques heures de colle.
    Une certaine Emilie, un peu trop fardée, se dévoue pour me servir d’escorte et expliquer la situation au CPE. Ce dernier remplit un retard et une colle dans mon carnet, puis s’empare lentement du combiné téléphonique et compose le numéro de ma mère après que je le lui aie transmis. Il utilise un vocabulaire précis pour exacerber la situation, mais Maman ne réagit pas et rétorque avec nonchalance.
    Je prends place en permanence, le plus éloigné de la place du surveillant possible, qui s’est manifestement absenté.
    Mon téléphone vibre.

    Paule : Ca va ?
    Xander : J’en ai eu des pires, c’est rien. J’ai remis en place Vincent, et sans commander d’armes.
    Paule : C’est la première fois que j’te vois agressif, j’crois. Waou.
    Xander : « Méfiez-vous de l’eau qui dort », on dit bien. :)
    Paule : Sinon, pourquoi t’es arrivé en retard ?
    Xander : Je voulais juste dormir un peu plus, j’étais malade cette nuit, je n’ai pas pu fermer l’œil.

    Ce qui, en soi, n’est pas totalement un mensonge.

    Paule : C’est suspect.
    Xander : Je te laisse, le surveillant est de retour.

    Je m’avachis sur mon bureau et ne peux réprimer un bâillement.
    Un peu plus tard, je sens une tape sur mon épaule. Je m’éveille tant bien que mal.
    Tewis. Un guitariste, et un des seuls doté de matière grise du lycée, avec son groupe. Il porte un T-shirt à l'effigie de Three Days Grace.
    Je n’ai jamais trop osé l’aborder, une sorte de gêne, une de ces personnes que l’on aimerait mieux connaître mais qui ne s’avère pas assez accueillante.
    « Salut, Rill. Viré de cours ? me glisse-t-il en prenant place à mes côtés.
    -Ouais.
    -Qu’est-ce que t’as fait ?
    -Taire Vincent. Un peu brutalement.
    -Quoi ? s’étonne le jeune homme.  Mais t’es le calme incarné !
    -Ah bon, j’suis comme ça, moi ?
    -C'est bien que t’aies fait ça. J’t’ai toujours vu subir en silence. »
    Je lâche un rire discret.
    « Quoi, toi aussi tu me considères comme une victime ? 
    -Hm… De ce que j’en ai vu, plutôt. Enfin, au fond, on est tous des victimes… Mais ça n’a rien d’humiliant, répond-t-il, un chouïa gêné de la tournure de la discussion, Enfin… Je ne peux pas me permettre d’émettre de jugements du peu que j’en sais, j’imagine.  
    -Pourquoi pas ? Ce n’est pas faux, c’est plutôt vrai, même. Mais je le vis bien. C’est juste que je ne donne pas d’importance aux petits problèmes qui me tombent dessus.
    -Et ce qui te tient à cœur ? Comment tu t’y prends ? »
    La sonnerie des neuf heures retentit. Je saisis mon sac. 
    « Tu verras bien », dis-je en m’en allant.
    Je lui fais un signe de main et me rends au prochain cours. Je rejoins Paule. Elle est habillée d’un short à mosaïques noir dont les extrémités sont effilées et un T-Shirt de basketball rouge cerise sur lequel stipule « Bulls 33 ».
    Pour un peu, j'aurais les larmes aux yeux tellement elle est mignonne. 
    « Xander ? Pourquoi tu me regardes comme ça ? Bouge-toi, on rentre en cours », m'interpelle l’intéressée.
    Je cligne des yeux et secoue légèrement la tête.
    « Je rêvassais, comme d’habitude. Excuse-moi. »

    Nous déambulons dans les rues de la banlieue. Nous nous rendons à la librairie, là où nous achèterions notre consommation de livres quotidienne.
    Paule a très lourdement insisté pour tous me les payer. Elle se montre d’une générosité hors paire avec moi. Quelle ironie de la part d’un type qui se trimballe avec sept cent euros dans le sac, en ce jour-ci.
    Nous sommes passés devant un groupe de caïds, lequel l’épie avec insistance. La demoiselle se refuse systématiquement à ne pas les regarder de cette manière à son tour. A distance adéquate, elle me confie :
    « J’crois que sans toi, j’aurais jamais le culot de les fixer comme ça. Ou même de m’balader dans cette ville pourrie.
    -Ne me prends pas pour ce que je n’suis pas : un mec baraqué avec des gros biceps et des abdos. »
    La rousse pouffe.
    « Ouais, t’es bien plus dangereux, tu me l’as prouvé pas plus tard que ce matin. »
    Je pousse le battant de la porte et nous nous introduisons dans la boutique. Elle commence à feuilleter quelques mangas, tandis que je consulte les quatrièmes de couverture des romans. Contrairement à d’habitude, elle n’a pas engagé directement la conversation.
    Aux antipodes de la Paule sûre d’elle, celle-ci guigne vers moi,  hésitante.
    « Oui ? » dis-je.
    La demoiselle paraît prise de court.
    « Hmm… Comment va Zack ? 
    -Aucune idée. Ma mère aura sûrement une visite à l’hôpital pour qu’on lui explique la situation.
    -Tu te fous vraiment de ce qui peut lui arriver ?
    -Non. »
    Elle paraît stupéfaite, ce qui est un peu vexant.
    « Vraiment ?!
    -J’ai un cœur, Paule. C’est une vie. Ma mère, mes sœurs et même le chien ne méritent pas ça, rétorqué-je fermement.
    -Excuse-moi. J’y avais pas pensé.
    -Pas de soucis. »
    Elle aborde un sujet plus banal.
    Une quinzaine de minutes plus tard, elle lève le nez de son bouquin.
    « Tu ne prends rien ? m’interroge-t-elle, comme j’en étais venu à feuilleter les bandes dessinées, que je n’achète jamais.
    -Oui.
    -Pourtant tu trouves toujours quelque chose… T’es sûr ?
    -Ouais, ouais. J’ai pas fini mon dernier roman.»
    Je ne peux pas faire payer ma meilleure amie en ayant autant d’argent dans mon sac.
    « Tu te comportes étrangement, aujourd’hui… » soupire la demoiselle en encaissant le tome 6 du berceau des esprits.


  • Commentaires

    1
    Samedi 2 Juillet 2016 à 01:25

    En même temps c'est sympa, ce mélange de rébellion et de fragilité fait justement pas trop cliché (à part la discussion avec Tewis qui arrive comme un cheveu sur la soupe en mode discussion philosophique sortie de nulle part, surtout le "Tu verras bien". Ah ouais. Mais nan tu verras pas.). Je sais pas, la narration est pas mal, ça rend bien pour une narration à la première personne dans le sens où on voit bien la personnalité du personnage sans en faire des caisses et en passant plutôt crédible. Mais j'ai remarqué qu'en général tu fais bien les narrations à la 1ère personne (moi je suis totalement naze à ça haha)

    ça fait longtemps que j'avais pas commenté par ici je crois. Ça va bien depuis le temps ? :)

    2
    Jeudi 14 Juillet 2016 à 01:37

    Je trouve ça assez risible du coup, comme si j'essayais de faire passer de la fragilité pour de la rébellion, pis ça fait un peu rébellion standard d'ado' type Skins. Puis les trucs type "un peu trop fardée" please nope, l'attitude générale du texte fait un peu limitée pour le coup, et j'incluais pas mal de banalités par souci du naturel, je sais pas si c'est quelque chose de bien ou pas du coup 

    En général, les narrations à la première personne que je fais sont celles où c'est moi la narratrice, ou alors un personnage dont le vécu est proche du mien au travers d'un texte. Enfin, ça se veut plutôt intimiste.  D'autant qu'en plus de la 1ère personne, c'est aussi du présent, ce qui est encore plus direct, type roman adolescent/ jeune adulte d'ailleurs.
    Le problème avec les narrations à la 1ère personne, c'est que j'ai tendance à un peu trop rapporter les choses à moi au détriment de la personnalité de mes personnages. D'ailleurs c'est en pensant au fait que tu n'aimais vraiment pas les narrations à la 1ère personne que j'ai songé à essayer la 3ème, et ça m'a plutôt réussi ! 
    Rien de mieux qu'une bonne narration omnisciente à la 3ème personne pour un récit taille roman en ce qui me concerne ! 

    En effet, je décroche un peu d'Ekla Blog comme tu peux le constater ! Ça va super, mes projets d'avenir se concrétisent un peu et je pense te suivre dans la voie des sciences politiques héhé ! Niveau passion c'est plutôt productif mais ça pourrait être mieux :C quant à toi ? 

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    3
    Mardi 19 Juillet 2016 à 13:56

    Comme tu dis ce sont les banalités qui donnent le côté naturel et donc réaliste de la narration, et c'est ce qui est difficile à faire dans les narrations à la 1ère personne (enfin, à condition que le but recherché soit d'être réaliste. Les rares fois où j'écris à la première personne c'est pour partir dans des délires en prose ou en vers ou les deux, donc pas de soucis du naturel haha). Les gens pensent que c'est plus facile d'écrire à la 1ère personne pour le côté direct comme tu dis, alors que c'est au contraire difficile de rendre la personnalité du personnage sans la ramener systématiquement à soi-même. Pour cet aspect la narration à la 3ème personne est plus libre, mais plus exigente au niveau du rythme/style du coup. 
    C'est vrai que deux-trois passages font too much mais ça passe relativement bien honnêtement. Fin récemment  les bouquins que j'ai lu m'ont presque dégoûtée de la lecture, tu te places au-dessus hein, même si tu trouves ton texte pourri parce qu'il est vieux :p
    Contente de t'avoir aiguillée sans le savoir xD
    Au lycée j'avais lu Un roi sans divertissement, et je me souviens que pendant tout le roman Giono alternait systématiquement entre différents types de narration : d'un coup narrateur omniscient, puis 1ère personne, puis 3ème personne suivant le point de vue d'un personnage.. Et ainsi de suite sur plein de personnages différents. C'était super intéressant. Ce bouquin est super intéressant de manière générale, même si l'histoire est carrément glauque par moments, c'est très bien foutu.

    Mais c'est super ça ! :D (Affiche tes productions artistiques :O) Tu es intéressée par sciences po ou les sciences politiques de manière générale ? (n'hésite pas d'ailleurs si tu as des questions sur le premier, je connais le système presque par coeur maintenant xD)   Quant à moi ça va plutôt bien, la fin du semestre était surchargée mais au final c'est bien passé de manière surprenante pour les résultats. Et pour le reste j'ai un nouveau projet d'écriture ambitieux (encore un autre) qui a germé dans mon esprit il y a deux mois et que j'écris assez rapidement donc on peut dire que c'est productif en ce moment ^^ 

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