• Je l'ignorais, qu'il gravissait la montagne pour y disparaître

    La pupille vide comme un gant sans propriétaire et les mots insensés
    « Je t'aime je suis désolé »
    Peu davantage qu'une litanie endiablée
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    Lourde fatigue traîne mon corps sur chaises et bancs et sièges de rames
    Je tâtonne lentement vers la cuvette salvatrice pour m'écraser lamentablement sur le carreau
    Voilà le bien triste souvenir de la fille qui s'éprit souvent de courir
    Et qui désormais se trouvait bien en peine de tenir debout.
    Même assise, son expression nauséeuse était précurseur de son horizontalité.
    Contre toute attente on pouvait observer son dos voûté, face contre table, quelques instants plus tard.
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        Il avait encore un peu la mort à l'âme, mon amour, étonnamment, parce qu'il le fallait bien vivant pour bien le faire souffrir tout ce temps. Je voyais, ça lui pendait des lèvres, ses mots que j'ignorais parfois, faute de pouvoir trop m'y consacrer, et qui tombaient donc dans un puits-sans-fond. Il était pas bête, il le savait, et je ne pouvais plus faire l'innocente, toute l’âpreté dont sa tendre âme était capable il me l'avait donnée avec ses larmes, et je l'avais recueillie comme un présent. J'avais pas la peur du vide, moi, il me connaît, c'est une figure familière et un peu hideuse avec sa bonhomie, longtemps je me suis amusée de cette sensation métaphysique, le vertige.
        Comprenez que j'avais pas envie de m'y jeter pour autant dans ce puits. Et encore moins pour une poignée de mots. Fut un temps j'avais mon côté chevalier. J'y aurais sauté à pieds joints dans le puits, peut-être pour ma bonne conscience, ou faute d'avoir mieux à faire. Se jeter à corps perdu, il m'est avis que c'est avant tout pour soi-même et pour se faire vibrer qu'on le fait. J'y vois plus grand chose de noble à la chevalerie et à cette pointe de fierté dans la poitrine. J'y vois plus grand chose d'excitant ni de valorisant. Je me souviens tout à fait du déshonneur que j'avais ressenti en servant le dédain, même. Je m'agenouillais pour trois fois rien si ce n'est pour le romantisme. L'adoubement, je le sentais pas beaucoup plus glorieux que le marquage au fer d'une vache. Ce que je récoltais de ma servitude était ingrat, quelques regards tout au plus. A choisir, je préfère l'égoïsme de l'albatros et sa pointe d'héroïsme adorable, à cette tête brûlée de chevalier qui s'ennuie, qui se donne et qui se tue pour vivre.
        Les regards je les soutenais sans rougir d'ordinaire, mais pas le sien. De ses yeux clairs et inquiets il avait sans arrêt l'air de m'interroger. Cette opération se répétait avec plus ou moins d'inquisition, c'était soit qu'il n'y trouvait rien dans mes yeux, parce qu'il me les verbalisait aussi ses questions, ou qu'il avait trop peur. Moi-même j'ignorais s'il y avait quelque chose à se mettre sous la dent dans mon regard, et je ne saurais pas déterminer non plus si c'était parce qu'il était vide ou simplement insondable. Je me suis jamais amusée à me défier du regard pendant de longs instants contrairement à lui, alors il est le mieux placé pour le savoir.
        Au départ, je me suis sentie un peu épiée, mais passée la démangeaison qui en résultait, j'ai commencé à prendre son visage dans mes mains pour le distraire et lui murmurer des mots d'amour. J'ai accepté toute cette formidable sensibilité et je m'en suis émue. Il était pleurnichard, mais moi aussi, tout à fait, on s'était bien trouvés tout de même, on larmoyait ensemble, et chaque fois un peu plus quand nos yeux humides se croisaient. J'étais fascinée par ce phénomène chez lui, cette capacité à s'émouvoir encore du plus trivial après avoir charmé la mort des années. (Ce sang-là n'est pas le mien, et si la littérature me voudrait impudente, je me garderais cependant de le répandre. Je ne manipule allègrement que les inconnus, les morts, mes inventions et moi-même. Du reste, j'ai encore trop honte.) Et sa joie ; beaucoup plus vive que la mienne, il sait y aller du rire et des sourires et de l'entrain comme du doute, du désespoir et du spleen. Contemplativement, je voulais la voir continuer, mourir pour renaître, indéfiniment.
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    Les sols que tu as foulés impassible et avec courage
    Bétonnés, carrelés, moquettes de rames, semblables et uns
    Parfois je les ai parcourus avec toi
    Quand tu y consentais, seul et terriblement
    Tu t'en voulais d'aimer cette condition sauvage
    En silence tu m'as haïe d'avoir essayé de t'en tirer.
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    Toi que je regardais indignement
    Tu t'es dérobé à ma vision
    Tu crains le courroux de l'écrivain désormais
    Ne crois pas que tu y échapperas
    Ton silence même m'inspire
    La plus acerbe des verves
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        Je songeais à l'albatros quand je me sentais étrange, à son errance et à son pèlerinage et à son plumage terni. Ce qui pouvait s'apparenter à une triste condition reflétait pourtant une richesse inestimable. Je l'avais connue à une époque : l'intégrité. L'albatros était prêt à souffrir l'opprobre et les pires indignités que ce soient pour vivre selon son essence d'écrivain. Moi qui me reconnus dans les traits de l'albatros, j'avais même fini par m'y confondre, finalement, l'albatros aux dents aiguisées n'était alors plus que cette formidable et féroce déclinaison de ma personne.
        Maintenant, je l'observe depuis les volets entrouverts de ma fenêtre, lorsque je prends le temps de m'y pencher. Voilà plusieurs mois qu'il se laisse dépérir dans mon jardin, entre la poubelle jaune et la poubelle verte. Comme il n'a pas eu un seul regard pour moi, je doute que ce soit une forme de protestation. Ses dents ont fondu, mais il semble toujours aussi furieux. Aujourd'hui, il pleut, alors il a ce petit air pathétique en plus avec ses plumes mouillées et dégonflées. Des feuilles brunies et autres tiges de plante se sont collées à sa peau. Le carnet sur lequel il lui prenait d'écrire tous les jours, posé à côté de lui, trempe dans une flaque d'eau causée par un renfoncement. J'imagine que de ces centaines de pages noircies on ne plus plus discerner une lettre. J'ai envie de lui proposer de se réfugier chez moi, mais je sais pertinemment qu'il refusera.
        Lentement, il entonne un chant qui m'est familier si bien que, machinalement, j'en poursuis la mélodie.


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