• Je ne serai plus

    « Je rêve qu'on se souvienne de moi et de vivre à travers les songes des autres. Utopie ! Dans une génération, je ne serai plus, et je rejoindrai des milliards d'oubliés. Y en a peu, des quadricentenaires. »

     

    C’est étrange de constater que tout juste mes premiers mots prononcés, je me sentais différente. La candeur s’est jouée de mon enfance.
    En effet, j’avais beau ne pas en être consciente, mon anormalité chatouilla furieusement les globes oculaires de mes contemporains, et ce dès mon premier souffle. Je n’avais pas le teint frais, reposé et rosé des autres bébés. J’avais celui de ceux qui ne naquirent jamais, mon teint était blafard, virait sur un bleu cadavérique, et mes cernes creusées auréolaient mes yeux clos. Une fraction de seconde, les gorges se nouèrent de regret. Celle suivante, je braillais à m’en vriller les poumons et à en vriller les oreilles des sages-femmes. Ironiquement, je fus reconnue comme le plus bruyant nouveau-né de toute la maternité.

    Je ne serai plus

    (Artiste : Akiakane ; Personnage : OC -> Voix exceptionnelle, en plus d'un coup de crayon très plaisant ! <3)


    Ma venue au monde semblait plus… brutale. Pas du ventre à l’air libre, mais d'inerte à animé. Une revenante, une réincarnation, et non un « zombie » , tel que le prétendent mes biens-aimés camarades. Du moins, c’était ce que j’aimais à penser ; un cryptique mystère surnaturel reste toujours plus excitant. Toutes les particularités qui m’entourent étaient loin de réfuter cette folle possibilité, que je jugeais plausible, de mon esprit imaginatif d'antan. Si cela peut vous rassurer quant à ma santé mentale, ce n’est absolument plus le cas aujourd'hui - le scepticisme quant aux évènements paranormaux, c’est bien connu.
    Parmi ces étranges détails stipulait la présence de larges cicatrices, qui zébraient étonnamment mon petit corps censé être neuf. Par ailleurs, elles n’ont toujours pas disparu et s’étendent grassement et indiscrètement sur ma joue gauche, mon cou, mes bras, mon buste -et des endroits insoupçonnés... Avec ceci, je m’imaginais tout types de scénarios sur mon éventuelle vie passée et sur les circonstances de ma mort.
    Toutefois, ma peau étant une membrane très fine que la plus moindre chute peut désagréger, il est par conséquent bien plus probable que des lésions se soient ouvertes durant ma formation. Mon organisme, quant à lui, est vulnérable au moindre effort physique et à pléthore d’infections. En suivant cette théorie-là, ma survie demeure également du miracle. J’en ai conclu être possédée par une frénésie à l’égard de la vie, plutôt que de me replonger dans des hypothèses nébuleuses.
    J’ai été recousue tant de fois que l’hôpital est mon foyer, ses employés ma famille, et que les points de suture constituent un organe à part entière chez moi. Cependant, il ne suffit pas d’être une pseudo-hémophile et de ressembler à un cadavre ambulant pour provoquer de telles réactions en posant le pied dehors - bien que cela ressemble drôlement à un euphémisme, ainsi formulé.
    Comme si cela ne suffisait pas, un autre surnom s’ajoute à la pile dont je suis déjà affublée. L’ « Extra-terrestre ». On peut affirmer que Dame Nature a concentré les anomalies de millions d’êtres vivants sur moi. Mes pupilles sont blanches, on ne peut plus effrayantes. Si on suit la logique des choses, elles ne devraient par conséquent par filtrer la lumière et ne pas me permettre de voir. Or, j’ai, au contraire, une vue éminemment bonne.
    Un véritable sujet d’études que la déontologie - après ma tendre mère - empêche de tripoter. Enfin, je serais réduite à un tas de poussière avant qu’ils n’aient le temps de triturer quoi que ce soit avec leurs scalpels.

    De ce fait, mon espérance de vie est particulièrement basse. On l'admet, à la longue, à force de phrases récurrentes, et navrées, que m'adressent de pseudo-empathes.
    Mon existence n’est pas heureuse, sans pour autant être malheureuse ; un juste milieu davantage désespérant, à vrai dire. Par ailleurs, cette situation aurait dû davantage me frustrer, à l'approche de la mort. Voici l'un des seuls atouts à cette moquerie que m'inflige la vie.
    Il en résulte un état d’esprit pour le moins farfelu. Un tout pour le tout réduisant la mort à l’état de mauvaise passe, et à la fois, une véritable force.

    Vous imaginez que la beauté de mon existence est altérée par mon physique singulier.
    Ce n’est pas seulement être mise de côté pour les épreuves sportives, faire des visites médicales régulières, subir des surnoms désobligeants ou s’interroger sur ce que l’on est. Mon quotidien se rapproche plus d’un combat perpétuel. L’apparence qui m’est imposée n’entre pas dans les normes sociales, peu importe le nombre de flacons de fond de teint dont j'enduirais ma figure - il est déjà bien compliqué d’en trouver un qui me convienne...
    La pire infortune dont je suis victime est la tendance d’autrui à me définir par mes particularités. Il m’a été donné de constater que dès lors qu’un individu tente de se différencier des autres, et que, pour ce faire, il use de comportements sans contentions, les réactions de la populace lambda sont, la plupart du temps, négatives.
    Or, en ce qui me concerne, je ne peux me débarrasser de ma nature. J’ignore par quelle félicité ma faiblesse n’est pas morale, car cela doit à bien peu, la force d'esprit.
    Quoi qu’il en soit, mon temps est déjà compté, et je n’en ai pas à perdre avec des bêtises d’adolescents sensibles à la solitude ou à l’intimidation.

    Aujourd’hui, je me lève et j’use de toute la puissance de mes jambes pour me précipiter en ville. Malgré ma petite taille et mon absence de formes, j'ai largement l'âge de m'y aventurer ; sans pour autant affirmer être moins vulnérable qu’une enfant, effectivement.
    Je mets des lentilles de couleur pour ne pas apeurer les passants outre mesure. Je revêts un blazer, une cravate, une jupe. Noirs. J'ai de l'ambition. Pas de maquillage : il ne sied pas à mon visage enfantin. Je fais tache, entre toutes ces couleurs, ces fleurs, ces arbres, ces gens. Je suis blanche, grise, noire… Morne.
    Pour couronner le tout, ma vision me permet de percevoir chaque pigment, la plus infime teinte, la plus légère nuance, le plus divergent ton. Et malgré cela, ne sont que les moins vives qui ressortent lorsque je m’observe dans la glace.
    Quand ce sont des œuvres d’art, mes grands yeux chatoient, virent irisés. Ma vision embellit. Contempler des œuvres d’art est fabuleux, du moment que c’en est moi la spectatrice. Et ce don-ci, vaut, il semble, toutes les tares du monde.

    Il fait beau, le soleil est à son zénith. Bientôt, je serai rouge. Est-ce que je dois m'en réjouir ?
    Il paraît que légalement, personne ne peut être discriminé pour son physique dans ses études. De ce fait, je poursuis mon rêve de politicienne.
    J’ai l'espoir de laisser un monde un tant soit peu changé, avant de disparaître.
    J’ignore si j’en aurais le temps. Je ne veux pas mourir. Pas si tôt.

    Je me nomme Brade Olsenn. Ne m’approchez que si vous êtes bons.

    (Dessin de Brade en attente de scan.)

    ___________________________

    Texte réalisé en juin. Il fallait que je le finisse, car les sentiments qui y sont liés commençaient à être trop éloignés temporellement. C'est en le corrigeant que je me suis rendue compte que j'avais fait beaucoup de progrès...
    A part ça, j'ai de nouvelles idées pour ma fiction. Pardonnez-moi de toujours revenir avec mes idées, mais une fiction est sans cesse proie à tous ces changements, cela me paraît normal quand on progresse !
    Elle risque donc de reprendre activement, à mon plus grand bonheur. :)


  • Commentaires

    1
    Vendredi 21 Août 2015 à 00:43

    Je n'ai pas lu et je suis arrivé ici grâce à Google Image, mais je suis satisfait d'avoir trouvé un nouvel artwork encore inconnu d'Akiakane.

    Bonne soirée.

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