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    La couleur du vide : Chapitre 1 : Partie 3

    « Chris ?! Xas ?
    -Et Ariaaa ! s'exclama gaiement ledit Chris au combiné.
    -Nous t'écoutons, lança l’autre, nettement plus sérieux et posé.
    -Chris, tes parents ne sont pas rentrés ? Ta mère non plus, Xas ?
    -Ouaip.
    -En effet. Je me faisais du souci...
    -Les travailleurs sont bloqués. Et ce n’est pas à cause de la pluie. J'ai trouvé la salle de contrôle ouverte et l'interrupteur du métro baissé. Ramenez-vous, y a un truc qui cloche. Je suis à la ligne de Vaise. Dépêchez-vous, bande de...»
    Les deux adolescents avaient déjà raccroché.
    « Cloportes. »
    Ils avaient compris que je n'appelais pas pour babiller les derniers potins, ce qui nous était rarement accordé. D'une minute à l'autre, ils seraient là. Leur diligence, leur bravoure et leur dextérité faisaient d’eux des éléments parfaits pour ce genre de circonstances.
    Chris était matois. Lorsqu'on le voyait à l'œuvre, le moindre doute sur son intelligence était exclu. Il est vrai que le reste du temps, il se complaisait en une attitude un peu abrutie. Quant à Xas, il était à l'image de ce qu'il laissait paraître : concis et adroit. 
    Sans parler de leurs corps merveilleusement sculptés, qui leur permettaient de nombreuses prouesses -et qui leur valait la cote chez les filles. 
    Ils surgirent simultanément, l'un à droite, l'autre à gauche, fonçant à toute vitesse sur leurs vélos. Leurs chevelures -blanche pour Chris, de par sa carence de mélanine, et noire pour Xas- voletaient, fouettées par le vent. Leur synchronisation aurait presque fait croire à une mise en scène. Le jeune homme aux cheveux liliaux souriait, ce qui creusait sa joue et son labret en deux fossettes, et son ami restait concentré et tendu. Pourtant, ils se ressemblaient bien plus qu'ils ne voulaient l'admettre.
    Chris tenta de faire un dérapage élégant pour se présenter à moi, mais la pierre mouillée le déstabilisa et il s'étala au sol. Son jean et les manches de sa chemise étaient trempés et un peu éraflés. Il se releva aussitôt pour faire oublier son étourderie, en s'esclaffant joyeusement.
    Je m'assis sur le bout de la selle de Xas en ricanant, et leur course folle reprit. Je dus m'accrocher à lui pour garder l'équilibre, non pas que j'en sois rendue à lui faire du rentre dedans. Bon nombre d'adolescentes seraient jalouses de cette situation, et je m'en réjouissais vicieusement.
    J'observais les paysages défiler, le baume au cœur.
    Nous passâmes sur la place centrale. Fière et pleine d’espoir, le symbole de la cité, une grande sculpture d’une femme au buste découvert et à la coiffure garçonne, brandissait la coupe de flamme, qui figurait sur le blason de ladite cité. Des morts étaient étendus à ses côtés. Perdue dans la brume, la pluie, les cadavres et le mauvais temps, elle avait néanmoins l’air d’avoir pleinement conservé son courage et son entrain. La Merveilleuse, pensai-je, j’aimerais être aussi brave qu’elle.
    Pourtant, je n'aimais pas l'idée de passer pour un héros. Toute cette démarche était normale. Il était de notre devoir de veiller au bien-être de notre nation, car personne d'autre que nous n'était prévu à cet effet. La sécurité de cette ville ne tenait qu'à une dizaine de policiers et gendarmes.
    Nous atteignîmes l'autre bout de la ville en moins de vingt minutes. Ils dissimulèrent leurs vélos dans les bosquets, pour guetter l'entrée du métro, accroupis.
    On pouvait apercevoir deux hommes de dos, vêtus des uniformes bleu marine des policiers. La matraque et le pistolet qui ceignaient leur ceinture ne faisait que renforcer ce fait. 
    Un groupe d'adolescents s'approcha pour discuter avec eux. Ils furent immédiatement congédiés, et repartirent pour la ville, perplexes. Nous n'étions pas les seuls à nous en faire. 
    Nous échangions des regards intrigués.
    « Policiers ou non, ils n'œuvrent pas  pour le bien des gens, murmura Xas, suspicieux, C'est certain. C’est bien trop suspect.
    -On les prend en embuscade ? proposa Chris, la main sur l'arme à feu qu'on lui avait offert pour ses études de garde du corps.
    -Pas tout de suite. Je vais aller leur parler. Si je remarque quelque chose de suspect... J'ébouriffe mes cheveux, et vous venez en renfort.
    -J'ai chouré ça à un exilé tout à l'heure. Les entraînements au tir vont finalement me servir. » 
    J'appuyai sur l'arrêtoir pour réceptionner le chargeur. Il était bel et bien rempli de balles.
    « C'est un Benelli, examina Chris, c'est vieux, mais ça fait l'affaire. Let's go, Xas ! »
    Le concerné rampa et s'extirpa des pousses. Il épousseta la terre et l'herbe collées à ses habits, et fourra les mains dans ses poches, pour adopter une démarche décontractée. Ses chaussures étaient imbibées d’eau, et c'était autant risqué en cas de fuite qu'en cas d'offensive. Fort heureusement, elles n'en étaient pas à couiner bruyamment et leur semelle adhérait bien au sol. Il était même probable qu'il ait médité ce détail moindre. A-t-on déjà vu le protagoniste d'une histoire faillir à sa mission en glissant, ou à cause du grincement de ses chaussures ?
    Ce constat me fit doucement rire. Au final, je devais être celle qui faisait le plus preuve d'incurie.
    Chris me jeta un regard sévère, pour m'intimer de rester attentive. Xas était maintenant posté devant les deux prétendus officiers. Nous nous mîmes en position de départ de sprint.
    Le brun commençait innocemment à converser avec l'un d'eux... Et il leva la main, pour la passer dans ses cheveux !
    Chris démarra au quart de tour.


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  • La couleur du vide - Chapitre 1 : Partie 2

    (Artiste : Naked Cat ; OC : Auteur)

    Les lois qui nous régissaient étaient rudes. La mort était si vite octroyée aux plus faibles.
    « J’ai la dalle, j’ai sommeil, et suis sale… », intima tacitement cette voix ferme, grave, juvénile.
    Un exilé affamé. A priori, Il était à peine plus âgé que moi.
    « On peut trouver un accord autour d’une tasse de thé ! T-Tranquillement ! » bafouilla la femme.
    Il hocha un sourcil.
    Elle émit un rire nerveux.
    Décidément, elle avait un mal fou à contrôler ses émotions. La situation tournait pourtant en notre avantage. Il s’avérait que le silence dans l’appartement ait insinué l’idée qu’il soit vide dans le crâne de l’intrus. Quelle naïveté que de croire qu’avoir un otage et une arme suffisait à l’écarter des menaces extérieures.
    Kimi pivota pour rejoindre la cuisine, sous l’impulsion du canon. Au tournant, je bondis agilement, les phalanges dures, s'écrasant sans plus tarder sur la mâchoire du malotru. Il partit violemment en arrière, maculant mon poing de sang. Son arme lui échappa des mains, et je posai mon pied dessus en le toisant sévèrement. Son dos frappa le sol : il lâcha un râle de douleur.
    Il avait une peau très pâle, des cheveux blonds, et était vêtu de vêtements en bon état, à l’aspect onéreux. Celui-ci venait assurément d'Europe du nord, ce qui expliquait son imprudence : ils n’avaient été débarqués que récemment.
    Le jeune homme se frottait la mâchoire, les larmes aux yeux. Il ne faisait plus sa vingtaine, dans cette situation si pathétique. Avait-il un jour représenté un danger ? Il n’était qu’un riche habitué à avoir tout ce qu'il désirait et, à en juger par sa conduite, doté d'un taux de testostérone particulièrement bas, qui le rendait bien lâche… Un nouveau-né qui ne goûtait que récemment à notre mode de vie moins luxueux.
    « Donne-moi toutes tes balles », lui ordonnai-je.
    Il les déposa fébrilement sur le parquet, inquiet, mais docile. Elles tombèrent en cliquetant.
    « Maintenant, casse- toi. Si tu reviens, je te tue.
    -Je voulais juste vivre », susurra ce dernier.
    Le jeune homme traînait le pied en sanglotant silencieusement. Je l’observais quitter l’appartement, sans savoir que faire. Il me lança un dernier regard. Serait-ce de la haine ? Ses mots résonnaient dans mes pensées, tels des fatalités, tels l’uppercut de l’injustice.
    Il fallait faire des choix. Je pouvais faire des choix. Le mien était de protéger ceux que j’aimais. Personne n’avait le droit de malmener ma précieuse Kimi. Certains n’avaient pas cette possibilité, et se retrouvaient cloîtrés dans un étau inéluctable, lequel les poussait à de mauvais agissements.
    Les arts martiaux faisaient partie intégrante de la scolarité, cependant cette réforme n'était opérée que depuis une dizaine d'années, et ni Kimi, ni Papa n'en avaient bénéficié.
    « Tu es si bête, Kimi », proférai-je à son intention, pour reprendre ses dires.
    L'intéressée grommela, en s'étalant de tout son long pour calmer les battements de son cœur. Je souris de la savoir saine et sauve. Il ne restait plus qu’à apaiser ses inquiétudes.
    « Papa a plus d'une heure de retard... Je vais le chercher. Et n'ouvre à personne !  m'exclamai-je en ramassant l'arme à feu et ses balles, Ne sors PAS ! », répétai-je.
    La pluie s'était calmée. Ce n'était plus qu'une bruine qui léchait ma peau de son toucher éthéré. Cependant, le froid et la brume évaporaient mon souffle en broues, fugaces et agiles, concordant avec chacun de mes mouvements. Le ciel menaçant avait vidé les rues, et je courais, seule. Le sans-abri de tout à l'heure avait décampé. La ville n'était qu'un pâté de maisons, de bureaux, de ruelles et de boutiques. Il n'y avait que des lignes de métro qui la desservaient. Sinon, nous étions forcés d'utiliser des moyens de transport mécaniques et individuels, le plus souvent des vélos. L'électricité était produite par les éoliennes ou les barrages d'eau, et les industries qui nous approvisionnaient se situaient en périphérie de la ville. Le système la préservait, au dépit des hommes qui se rendaient en territoires abandonnés.
    En arrivant sur le quai, il n'y avait pas âme qui vive, si ce n'est un chat errant. Je le savais, car ses yeux bleu turquoise chatoyaient dans l'obscurité.
    Le métro n'était pas fonctionnel.  Éventuellement une coupure de courant à cause de la pluie. Je fis la moue. Les problèmes affluaient, malgré les efforts qu’avait faits le gouvernement, qui, peu à peu, s'était retiré pour nous abandonner à notre sort. Je sortis mon téléphone pour éclairer et longer le quai, et gagner la salle de contrôle.
    La porte était défoncée. Un large trou me permit de me faufiler sans problèmes.
    Il y avait une bougie usagée près du large panneau où figuraient pléthore de boutons et de manettes. Je me mis à l'inspecter. L'interrupteur était simplement baissé ! Quelqu'un avait manifestement voulu faire croire à une panne électrique due à la pluie pour ne pas affoler les familles des travailleurs.
    Je déglutis en remettant le courant.
    Je sortis consciencieusement la tête pour guigner prestement. La lumière ne m'avantageait pas, mais la voie était libre. J'avançais en me plaquant au mur carrelé, tendue, et je m'extirpai vivement dehors.
    Sur le bas-côté se trouvaient des vélos en libre-service. En fouillant mes poches, je ne découvris pas d'argent.
    Quoi qu'il en soit, je ne pouvais pas y aller sans aide. J'avais beau être plutôt audacieuse, cela ne faisait pas de moi quelqu'un d'inconscient.
    Je me cachai derrière des buissons en pianotant sur mon téléphone.


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  • Chapitre 1 : Partie 1

    « Un autre monde, hein... » murmurai-je, pensive.
    Je considérais Kimi avec mélancolie. Je me noyais dans ses yeux verts en amande, qui sous-entendaient un esprit vif et perspicace. Pourtant, l'odeur nauséabonde de sa cigarette me rappelait Ô combien elle pouvait faire des choix irraisonnés… 
    Dans sa robe cintrée, dont les extrémités étaient d'une dentelle légère et distinguée, aussi brune que sa chevelure qui ruisselait sur ses épaules nues, elle conservait toutefois un charme certain.
    Ses fines jambes croisées, délicates et diaphanes, faisaient resplendir toute sa féminité, tandis que ses pupilles se perdaient dans la contemplation de la ville qu'elle aimait tant, perchée sur le balcon.
    Kimi s'extasiait de sentir la vie grouiller autour d'elle, des hommes converser, les jappements des chiens, tous ces êtres se mouvoir, les arbres et les plantes devenus si rares, le ciel d'un bleu immaculé, tout cela la mort au creux des lèvres. Elle avait l'air heureuse d'habiter une cité si animée, presque similaire à celles que l'on faisait jadis.
    Ses taches de rousseur, les mêmes que celles d'Ana, ma sœur, lui conféraient un visage enfantin. Elles étaient toutes deux pourvues de traits passionnés, avides de savoir, de découvertes.
    La jeune femme tendit ses bras, s'étirant à l'instar d'un félin, et reporta ses yeux immenses sur moi pour la première fois depuis une heure -ce qui avait le don d'être humiliant.
    Sans plus tarder, elle guigna plus bas, sur un garçonnet. Il attendait sous l’auvent, livide, indifférent. Ses cheveux mi-longs châtains, presque écarlates, étaient ceux d'un garçon qui n'a jamais mis les pieds chez un coiffeur. Deux griffures profondes striaient sa joue droite.
    Un vacarme pluvial débuta dès lors. Il replia sur sa tête la capuche de son sweat, sale et effiloché, l'averse tendant à être oblique, pour aller se terrer à l'angle de la boutique. Sa figure trahissait des origines exotiques. Peut-être espagnoles, ou brésiliennes. Ces pays avaient été évacués il y a une dizaine d'années, dans l'urgence. Un exilé.
    Il était de plus en plus courant d'en voir errer seuls, sans toit et privés de famille. 
    Kimi et moi nous étions retirées à l'intérieur. Malgré tout, elle continuait à l'épier à travers la vitrine. La mine du garçon se décomposa, malheureuse. La compassion ravagea nos deux âmes.
    La jeune femme courut prendre une veste de mon père, pour se ruer vers la sortie. Je la vis traverser comme une furie, et tendre le vêtement à l'enfant, qui le réceptionna sans remuer les lèvres.
    Je souris, amusée, couvant néanmoins Kimi d'un œil protecteur. Les exilés étaient connus pour leurs nombreux braquages et vols, et ils étaient parfois prêts à tuer pour une poignée de dollars.
    Kimi, Papa et moi les aidions du mieux qu'on le pouvait en tenant compte de ce danger. S'ils étaient des individus dans le besoin, ils étaient également responsables de nombreux meurtres.
    Étant donné qu'il s'agissait du plus quelconque événement, elle s'était séchée, et la vie avait repris son cours.
    « Demain, c'est le grand jour. Tu vas enfin pouvoir choisir ta voie, commença-t-elle.
    -Je n'appelle pas ça un choix », maugréai-je.
    En effet, les opportunités de métiers avaient fortement régressé. Par manque de territoire et de personnel, beaucoup de domaines étaient tombés dans l'oubli, l'art, le droit, le commerce... Maintenant, les secteurs étaient presque imposés. L'économie, la science, la technologie, le bâtiment, un peu de culture, ou l'armée. La Terre avait beau être en partie ravagée, la force militaire n’avait au contraire que crû, autant en effectif qu’en technologie, ce qui avait éveillé en moi de nombreux soupçons à l’égard de l’Etat.
    « Tu veux toujours faire partie du Changement ?
    -Oui. »
    L’idée était de faire de mes propres mains ce que l’Etat n’avait jamais daigné faire.
    « Malgré l'équipement dont ils sont dotés, je doute que tu vives longtemps. La pollution et la radioactivité sont extrêmes, et Dieu sait ce qu'il se trouve là-bas...
    - Plus personne ne veut de ce poste depuis les dernières bombes. Tu parles d’un changement, elles remontent déjà à un demi-siècle. Il est temps que ce secteur porte dignement son nom, je veux faire bouger les choses. Je me sens parquée. Tu as conscience que l’Humanité est en voie d’extinction ? » 
    Kimi soupira.
    « Tu es si têtue, Aria. Ces zones sont irrécupérables. L'humanité est condamnée.
    -Les générations précédentes ont détruit nos terres, nous allons les soigner. La science s'est spécialisée en biologie.
    -La quantité de dioxyde de carbone et la radioactivité sont colossales. Ne cherche pas plus loin.
    -Tu ne vaux pas mieux que moi, à bousiller tes poumons, pestai-je pour la énième fois, tu ne peux pas te permettre de tenter de me dissuader ! » 
    La jeune femme s'amouracha du plafond, en écrasant sa cigarette dans le cendrier. Je lui jetai une œillade réprobatrice en constatant que l'appartement était imprégné de la pestilence de ses malpropretés.
    Le fait est qu’elle et moi n'entretenions pas une relation de belle-mère à belle-fille, laquelle m'obligerait à lui vouer un respect exagéré à mon goût. Seulement une dizaine d'années nous séparaient, et nous nous traitions d'égal à égal. Par conséquent, Kimi n'avait d'autre possibilité que d'accepter mon opinion, qui la voulait profondément égoïste et irrationnelle. Et pour cause, elle avait la chance folle d'avoir une belle existence, un foyer, une famille, et de demeurer dans l'un des derniers endroits sain au monde, pour l'avilir avec des infamies inventées au dix-neuvième siècle.
    Trente minutes plus tard, mon père n'était toujours pas rentré. Kimi se rongeait les ongles en tripotant furieusement ses mèches noires, anxieuse. Ses dents claquaient nerveusement, son front était plissé de tension.
    A ce moment-là, nous entendîmes des pas détonner dans le couloir, puis sur notre pallier.
    Fidèle à son impulsivité, la jeune femme se précipita pour ouvrir la porte et... Et contrairement à ce que j'aurais pu croire, elle ne sauta pas au cou de Papa. Elle écarquilla ses yeux humides, les mains en l'air. Elle reculait, tétanisée, lentement, précautionneusement un canon rivé sur le front.
    Je retenais mon souffle.


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