• La couleur du vide - Chapitre 1 : Partie 1

    Chapitre 1 : Partie 1

    « Un autre monde, hein... » murmurai-je, pensive.
    Je considérais Kimi avec mélancolie. Je me noyais dans ses yeux verts en amande, qui sous-entendaient un esprit vif et perspicace. Pourtant, l'odeur nauséabonde de sa cigarette me rappelait Ô combien elle pouvait faire des choix irraisonnés… 
    Dans sa robe cintrée, dont les extrémités étaient d'une dentelle légère et distinguée, aussi brune que sa chevelure qui ruisselait sur ses épaules nues, elle conservait toutefois un charme certain.
    Ses fines jambes croisées, délicates et diaphanes, faisaient resplendir toute sa féminité, tandis que ses pupilles se perdaient dans la contemplation de la ville qu'elle aimait tant, perchée sur le balcon.
    Kimi s'extasiait de sentir la vie grouiller autour d'elle, des hommes converser, les jappements des chiens, tous ces êtres se mouvoir, les arbres et les plantes devenus si rares, le ciel d'un bleu immaculé, tout cela la mort au creux des lèvres. Elle avait l'air heureuse d'habiter une cité si animée, presque similaire à celles que l'on faisait jadis.
    Ses taches de rousseur, les mêmes que celles d'Ana, ma sœur, lui conféraient un visage enfantin. Elles étaient toutes deux pourvues de traits passionnés, avides de savoir, de découvertes.
    La jeune femme tendit ses bras, s'étirant à l'instar d'un félin, et reporta ses yeux immenses sur moi pour la première fois depuis une heure -ce qui avait le don d'être humiliant.
    Sans plus tarder, elle guigna plus bas, sur un garçonnet. Il attendait sous l’auvent, livide, indifférent. Ses cheveux mi-longs châtains, presque écarlates, étaient ceux d'un garçon qui n'a jamais mis les pieds chez un coiffeur. Deux griffures profondes striaient sa joue droite.
    Un vacarme pluvial débuta dès lors. Il replia sur sa tête la capuche de son sweat, sale et effiloché, l'averse tendant à être oblique, pour aller se terrer à l'angle de la boutique. Sa figure trahissait des origines exotiques. Peut-être espagnoles, ou brésiliennes. Ces pays avaient été évacués il y a une dizaine d'années, dans l'urgence. Un exilé.
    Il était de plus en plus courant d'en voir errer seuls, sans toit et privés de famille. 
    Kimi et moi nous étions retirées à l'intérieur. Malgré tout, elle continuait à l'épier à travers la vitrine. La mine du garçon se décomposa, malheureuse. La compassion ravagea nos deux âmes.
    La jeune femme courut prendre une veste de mon père, pour se ruer vers la sortie. Je la vis traverser comme une furie, et tendre le vêtement à l'enfant, qui le réceptionna sans remuer les lèvres.
    Je souris, amusée, couvant néanmoins Kimi d'un œil protecteur. Les exilés étaient connus pour leurs nombreux braquages et vols, et ils étaient parfois prêts à tuer pour une poignée de dollars.
    Kimi, Papa et moi les aidions du mieux qu'on le pouvait en tenant compte de ce danger. S'ils étaient des individus dans le besoin, ils étaient également responsables de nombreux meurtres.
    Étant donné qu'il s'agissait du plus quelconque événement, elle s'était séchée, et la vie avait repris son cours.
    « Demain, c'est le grand jour. Tu vas enfin pouvoir choisir ta voie, commença-t-elle.
    -Je n'appelle pas ça un choix », maugréai-je.
    En effet, les opportunités de métiers avaient fortement régressé. Par manque de territoire et de personnel, beaucoup de domaines étaient tombés dans l'oubli, l'art, le droit, le commerce... Maintenant, les secteurs étaient presque imposés. L'économie, la science, la technologie, le bâtiment, un peu de culture, ou l'armée. La Terre avait beau être en partie ravagée, la force militaire n’avait au contraire que crû, autant en effectif qu’en technologie, ce qui avait éveillé en moi de nombreux soupçons à l’égard de l’Etat.
    « Tu veux toujours faire partie du Changement ?
    -Oui. »
    L’idée était de faire de mes propres mains ce que l’Etat n’avait jamais daigné faire.
    « Malgré l'équipement dont ils sont dotés, je doute que tu vives longtemps. La pollution et la radioactivité sont extrêmes, et Dieu sait ce qu'il se trouve là-bas...
    - Plus personne ne veut de ce poste depuis les dernières bombes. Tu parles d’un changement, elles remontent déjà à un demi-siècle. Il est temps que ce secteur porte dignement son nom, je veux faire bouger les choses. Je me sens parquée. Tu as conscience que l’Humanité est en voie d’extinction ? » 
    Kimi soupira.
    « Tu es si têtue, Aria. Ces zones sont irrécupérables. L'humanité est condamnée.
    -Les générations précédentes ont détruit nos terres, nous allons les soigner. La science s'est spécialisée en biologie.
    -La quantité de dioxyde de carbone et la radioactivité sont colossales. Ne cherche pas plus loin.
    -Tu ne vaux pas mieux que moi, à bousiller tes poumons, pestai-je pour la énième fois, tu ne peux pas te permettre de tenter de me dissuader ! » 
    La jeune femme s'amouracha du plafond, en écrasant sa cigarette dans le cendrier. Je lui jetai une œillade réprobatrice en constatant que l'appartement était imprégné de la pestilence de ses malpropretés.
    Le fait est qu’elle et moi n'entretenions pas une relation de belle-mère à belle-fille, laquelle m'obligerait à lui vouer un respect exagéré à mon goût. Seulement une dizaine d'années nous séparaient, et nous nous traitions d'égal à égal. Par conséquent, Kimi n'avait d'autre possibilité que d'accepter mon opinion, qui la voulait profondément égoïste et irrationnelle. Et pour cause, elle avait la chance folle d'avoir une belle existence, un foyer, une famille, et de demeurer dans l'un des derniers endroits sain au monde, pour l'avilir avec des infamies inventées au dix-neuvième siècle.
    Trente minutes plus tard, mon père n'était toujours pas rentré. Kimi se rongeait les ongles en tripotant furieusement ses mèches noires, anxieuse. Ses dents claquaient nerveusement, son front était plissé de tension.
    A ce moment-là, nous entendîmes des pas détonner dans le couloir, puis sur notre pallier.
    Fidèle à son impulsivité, la jeune femme se précipita pour ouvrir la porte et... Et contrairement à ce que j'aurais pu croire, elle ne sauta pas au cou de Papa. Elle écarquilla ses yeux humides, les mains en l'air. Elle reculait, tétanisée, lentement, précautionneusement un canon rivé sur le front.
    Je retenais mon souffle.


  • Commentaires

    1
    Mercredi 14 Mai 2014 à 15:11

    Et bah !

     Quand j'ai commencé à lire je ne m'attendais pas du tout à cette fin, et les personnages sont très bien définis et expliqués, franchement j'aime beaucoup !

    2
    Vendredi 30 Mai 2014 à 11:39

    Merci beaucoup ! J'avais peur que ce début soit trop précipité, j'espère que ça ne t'a pas brusquée, ton commentaire me fait très plaisir. :3 

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    3
    Vendredi 30 Mai 2014 à 18:29

    Pas du tout loin de là !

    Et De rien, Tout le plaisir est pour moi 83

    4
    Dimanche 6 Juillet 2014 à 01:32

    Alors, j'ai beaucoup de remarques à faire sur ta fiction :)

    D'abord, je trouve au contraire que le début est vraiment précipité. Commencer par la description d'un personnage à priori secondaire c'est assez bancal comme incipit. Tu commences par la description de la fille, mais on ne sait pas du tout où on est, on suppose qu'elle doit être importante dans l'histoire mais visiblement non, bref c'est un peu confus.  En fait, ça manque d'une petite introduction qui évoque un aspect important de l'histoire – ça peut être une description d'un élément relatif à l'époque, une réflexion qui prendra son sens avec la suite, etc – avec un incipit bien fait ce n'est pas grave si tu pars après sur des détails moins importants.
    Ça va assez vite entre le moment où elle évoque l'Expédition et celui où elle casse la gueule au mec, et en même temps c'est trop décrit. Je ne sais pas trop comment expliquer, mais ça donne un rythme un peu bizarre (c'était quelquefois le cas dans ton ancienne fiction aussi), peut-être qu'une petite ellipse corrigerait ça ? :S
    Mis à part le fait qu'elle n'est pas forcément bien placée, la description est en soi très bien faite, franchement t'as pas de soucis à te faire à ce niveau-là ;)
    J'aime beaucoup le personnage d'Aria, il est bien génial :D

    En fait,  je trouve que ta précédente fiction était mieux construite. À un moment t'avais mis un lien sur un googledoc je crois, je l'avais lu là-dessus à l'époque, il y avait une suite que tu n'as pas posté. Pour être tout à fait honnête, j'avais été très impressionnée par l'entrée progressive dans l'histoire, qui promettait quelque chose de très complexe voire même un scénario de dingue à la survivor dans un monde qui se détruit de l'intérieur. Je ne me rappelle plus des détails, mais c'était très frappant dans le dernier dialogue avec le vieil homme, qui lui donnait.. de l'argent ? j'ai oublié désolée x) Mis à part peut-être une toute petite bizarrerie de rythme, sincèrement, c'était super bien foutu, on entrait très bien dedans. C'est dommage que tu l'aies arrêtée, peut-être parce que ça promettait quelque chose de trop complexe à réaliser ? ou alors tu t'étais retrouvé un peu par hasard avec cette histoire et tu ne savais pas comment la développer ? :S  Désolée, j'aurais dû commenter ça auparavant, je devais être pressée le jour où je l'ai lu ^^'

    Sinon ne prend pas mal ma critique, en soi ton texte est déjà pas mal, mais je suis persuadée que tu es capable de le rendre génial ;)

    5
    Lundi 7 Juillet 2014 à 00:53

    Justement, j'ai récemment fait des modifications. A mon goût c'est mieux construit désormais ! J'en fais toujours de toute façon... Hé, c'est vrai que tu aurais pu me le dire plus tôt. ;o 
    Le but de commencer par la description du personnage est d'imposer le caractère d'Aria : honnête et sans tact. Il permet également d'expliquer la situation : les exilés, tout ça. Mes fictions ont toujours des modifications, donc forcément, au début elles ne sont pas toujours bien structurées. Mais cette description avait tout de même un but bien précis. Parfois ils sont détenus dans la suite. 
    J'évoque aussi l'amour de la vie qu'à Kimi : ça a également un très grand rapport avec la suite. 
    En regardant Shingeki No Kyojin, je me suis par ailleurs rendue compte que l'Expédition ressemblait clairement aux bataillons d'exploration... J'ai, par conséquent, changé le cours de l'histoire. Ca se nomme désormais le Changement.  
    Mais je vais essayer de façonner quelque chose de mieux que dans Inéluctable, car mes idées étaient classiques, je trouve ! Je ne vais pas te dévoiler ça, mais je partais clairement sur quelque chose de classique, en privilégiant le message que je voulais laisser passer à un véritable scénario. Je la continuerais peut-être jusqu'à ce que la situation soit bouleversée, ça laisserait peut-être moins sur sa faim, et je n'aurais pas trop de problème à faire ça, car jusque-là le scénario n'est pas trop mauvais. 

    Je pense que ce que j'ai fait n'est pas mauvais pour l'instant, tu verras ce que ça donne ! :) 

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