• Lumière étouffée

         Mon chemin était toujours celui des caniveaux. J'essayais de ne pas m'encrasser en les suivant. C'était paradoxal, vous conviendrez, de suivre le caniveau pour trouver la lumière.
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        Ma lumière... Lumière, je tends les mains vers ta douce chaleur. Liez-moi-les si elles doivent altérer ta beauté ; coupez-les, même, car je ne veux pas de mains qui avilissent. Je ne veux pas de rictus crispé par le doute, et si le souci doit s'empreindre de toi, je veux y être étranger.
         Je ne t'en demande pas tant, Lumière, si ce n'est d'être lumière et de continuer à illuminer mes ternes réalités.
          Le dragon Ënos se manifesta. Qu'en vis-tu ? Ma vanité ? Suis-je stupide de vouloir t'échapper ? Car de mes mains tendues amoureusement en une stupide expectative, j'eus des crampes. De mes larmes tu ne te repais pas ; et tu mourrais de faim, je ne saurais te donner que ma joie. Peut-être aussi que t'aimer, ce peut être te refuser ma posture de martyr. Je vis en ce désintérêt soudain, à tort, un désamour, influencé par une tradition racinienne. Pour aimer je croyais qu'il me fallait attendre et mourir. Dans les geôles j'ai vu le guépard dévorer l'amour avec complaisance : c'est cette tradition qu'il mangeait. Et cet amour déchiqueté me murmure encore avec son sanguinolent sourire : vivons, et abolissons l'usage... vivons, et abolissons l'usage...
           Comme ce n'était pas dans mes habitudes de m'enfuir, c'est ce que je fis. Je ne voulais plus d'amour ou de tendresse ; je congédiais tout espoir de te faire mienne pour prendre la liberté de te suivre, toi qui te profilais au loin, à l'horizon, en courant toujours plus longtemps et toujours plus vite.
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    la fatigue bout comme le sang dans mes veines mes mains fébriles bientôt recueillirent les orbites qui tombèrent de mes paupières béantes entre autres événements surréalistes un festival de pensées dans mon esprit sans cohérence sans importance elles dansent se jouent de moi me séduisent pour me débecter ce bien-être m’éprit et soudainement la peur de ton regard le brisa impitoyablement tu souriais pourtant des sourires amusés qui découvraient tes dents sûrement que tu ressentais un peu de joie et ta joie souvent fut la mienne j’aurais aimé que ces voix se taisent mais mon esprit nébuleux proie facile se laissait saisir et lors qu’il se disposait à la patience à la vertu à l’authentique ta beauté ébranla à nouveau toute sa sagesse qu’ai-je dit qu’ai-je fait encore qui ne trahisse pas mon amour mais quelle importance finalement je m’efforçai je bataillais pour l’amour du monde c’était toujours cette sensation de vanité qui l’emportait l’amour n’est pas obsession il y a longtemps que j’aurais dû arrêter de l’écrire je songe à cet homme-là je songe à cet homme-ci comme s’il était besoin d’absolument songer à qui que ce soit pour se sentir vivre pourtant je les sais ces projections n’être que fantasmes je les sais être tout à fait impalpables impertinentes irréelles mais toi toi toi deuxième personne du singulier toi à qui je dédiais tant de mots sans jamais te les reconnaître toi qui de la boue fit de l’or de la carcasse une jeunesse vivace successivement espoir désillusion lumière tu n’as pas à rougir devant cet aveu car tu t’élèves bien au-delà de ces préoccupations que créent la quête du divertissement de ces amours qui ne sont qu’idée tu es celui qu’on ignore amour trismégiste l’indécrassable et l’universel vers lequel on revient la tête baissée enfants pris sur le fait je me repentais silencieusement alors et tu m'enseignais que l'amour c'est beaucoup plus aimer que s'aimer
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         Ether prenait l’air songeur, souvent. Elle attendait qu’on le décryptât, et pour ce faire, elle organisait tout à fait prodigieusement la physionomie de son visage ; elle fronçait légèrement les sourcils, mais sans qu’ils plissassent son front, ce qui lui conférait, elle l’espérait, une attitude renfrognée qui ne dénotait pas de l’hostilité, car elle ne supportait pas l’idée de valoir quelque désagrément à qui que ce soit, même ceux qui ne s’étaient pas souciés de lui en donner. Elle déployait une somme d’efforts conséquente pour ce faire ; et là-dedans, parler, c’était encore trop. Elle aimait les mots pourtant, et parce qu’elle les estimait tant, elle les craignait également. Ether les pesait tout à fait, elle en mesurait la puissance, là où le commun des mortels les jetait, malpropres, les laissait expirer pathétiquement, des mots du caniveau, je t’aime, je te hais, je suis jaloux, je me sens triste, elle ne disait jamais ce genre de mots, Ether, c’étaient des mots salis dont il n’y avait plus rien à comprendre, d’autant d’offrandes qu’on avait enduites de crasse.
         Ether le comprit rapidement : ceux qui ne parlaient pas n’étaient pas entendus, quel que soit leur langage, s’ils n’élevaient pas la voix, ils n’étaient pas considérés, incompris, c’était mieux, bien sûr, pour les adorateurs de la crasse, qui disposaient, qui avaient tout le loisir de reconnaître dans ces silences des acquiescements frénétiques. Cette idée-là valait à Ether bien des soupirs. Elle s’essaya même aux regards atterrés, et comptait sur ses longs cils noirs, qui voilaient à moitié ses yeux, pour trahir quelque lassitude, quelque déception ; rien n’y faisait. Seule la parole pouvait légitimer sa personne et ses émotions ; sinon, on n’y voyait que ce qu’il était plaisant d’y voir. Plus d’une fois Ether écarquilla les yeux en constatant que sa gestuelle aussi était traînée dans la crasse de ses adorateurs, tu gémissais, Ether, de bien-être, ça dégoulinait de leur bouche, du dégueulis, rien à voir avec les mots, avec un quelconque langage, ces choses-là sont le miroir d’un moi profond et n’ont vocation qu’à le satisfaire, ce n’est pas de la communication, c’est de l’autosatisfaction, logique masturbatoire, et Ether prenait ça en pleine tronche. Ses soupirs de lassitude, des gémissements de plaisir. Aussi sûrement qu’ils ne s’intéressent qu’aux jolies femmes – et Ether, cette ténébreuse Aphrodite, était d’une beauté envoutante ! -, les adorateurs de la crasse ne retiennent que ce qui peut flatter, plaisir sexuel ou égotique, qu’importe, leurs sens sont asservis au produit plaisir qui peut en découler. Une logique presque mathématique, je le concède : si toute cette grisaille n’apporte rien que du déplaisir, alors elle n’a aucun intérêt, donc les sens l’ignorent.
           C’était compréhensible qu’on la désirât cette jeune femme ; elle avait tout, même la dépression. De jolis yeux verts, perçants, qu’il était à propos de croiser au hasard d’un baiser, des sourcils garnis et des cheveux de jais qui lui donnaient l’apparence – et seulement l’apparence – d’une femme dont l’explosive logorrhée était à craindre, et un nez ! Un nez d’une finesse telle qu’il semblait appeler à ce que l’on promenât son doigt de son long. Sa poitrine était ferme et généreuse, particulièrement douce ; il était quoi qu’il en soit ardu de toucher quelque partie de sa peau sans s’exclamer justement : « Quelle est douce ! ». Sa taille était fine, on la pouvait enserrer facilement, et sa chute de reins menait des plus naturellement à des fesses et des cuisses fermes et charnues. Son ventre rond achevait de faire d’elle un modèle à en faire pâlir la Vénus de Milo. Il paraissait presque criminel de laisser immaculées des beautés comme celles-ci. Pouvait-on leur reprocher leur ferveur, leur précipitation à ces hommes-là ? Ether, en tout cas, ne lésinait pas. Elle leur avait fait subir les pires tortures dans son esprit. Peut-être, s’amusait-elle, que si elle mordait suffisamment fort dans les cous de ces diables, au point où sa bouche se remplirait de leur sang de pestiféré - sang qu’elle recracherait dans le caniveau, qui sait de quelle maladie un adorateur de la crasse est porteur ! -, sa gestuelle serait assez explicite pour signifier son désaccord. Elle en doutait toutefois, car, avec un effort d’imagination, il pouvait encore s’agir d’un jeu sexuel.


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