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Je suis une femme publique
Parce que j’écris j’embrasse ma solitude. Je tente de saisir la complexité du monde qui m’entoure, de le restituer sans simplification excessive. Je fais attention à la vraisemblance des personnes qui, sous ma plume, deviennent mes personnages. Relation d’appartenance qui implique une confiance. A moins que cela me soit égal ; que ces individus m’apparaissent dans une vulgarité qu’il ne m’incombe que de caricaturer. Ceux-là ne m’inspirent jamais longtemps, c’en est fini en quelques lignes.
Dans de moindres proportions, j’ai aussi fait l’objet d’écrits d’une si piètre qualité que je les préférerais inexistants. Ce n’est pas de moi dont il s’agit, mais d’une parodie. La figure de la succube est souvent revenue. Moi, habitée par le diable, à m’amuser des tourments que j’occasionnerais sciemment. Dénuée de raison, à la merci de je ne sais quel traumatisme, je chercherais à me venger et à avoir l’ascendant sur les autres. Mon personnage n’a aucune profondeur, aucune complexité, n’est qu’une déclinaison de la femme fatale tout droit sorti d’un roman noir.
Grimée de cruauté et de pulsion, alors que chacune de mes actions est idéologiquement réfléchie, que je m’efforce constamment de prendre soin de moi-même et des autres. J’ai probablement échoué à de nombreuses reprises, mais par ces portraits on m’enlève cette volonté, cet effort-là de faire les choses bien. Tant pis. « Serais-tu aussi chaste que la glace et aussi pure que la neige, tu n'échapperais pas à la calomnie. »
Fatalement, j’ai fait l’objet d’écrits pornographiques d’un mauvais goût prodigieux. Je n’avais pas demandé à lui faire cet effet-là, je ne consentais pas à être mise en scène de la sorte. Je ne comprendrai jamais comment on peut prétendre aimer quelqu’un tout en le dépeignant d’une façon qui ne peut que lui déplaire. Ces mises en scène de moi-même me dégoûtent d’une part parce qu’elles dépeignent une personne que je ne suis pas, mais surtout parce qu’elles révèlent quelque chose d’exécrable chez leur auteur.
Par pitié, n’écrivez pas sur moi si c’est pour mal le faire. Le cas échéant, tâchez a minima de le garder pour vous.
----Désir impérieux d’écrire ; de m’écrire, survivante et heureuse, pour donner du sens au ressac de ma vie. J’aimerais qu’il cesse un instant, je serais comme un chien qui s’est pris des coups de pied toute sa vie et qui enfin, trouve un maître pour l’aimer. Je me loverais contre lui, il me caresserait le museau. Le ressac s’interromprait… S’aimer vraiment prend du temps ; on se laisse flotter quelques instants. Je n’aurais rien besoin de faire pour lui prouver ma valeur ; pour lui prouver que je ne méritais pas tous ces chassés.
Je vois qu’on attend que j’aie moins besoin des autres, que je reprenne le contrôle de mon cerveau détraqué. Equilibrée et ambitieuse. Il faudrait que je fasse quelque chose de grand avec mon intelligence. Ça me plairait terriblement, d’avoir des préoccupations plus hautes, et pourtant… Je voudrais simplement reposer ma gueule sur les cuisses d’un maître aimant.
----Ecrire, non plus sur celle que tu m’as fait devenir, mais sur celle que j’étais à ce moment-là. Celle qui déambule dans la rue, une bière à la main, un joint dans l’autre, et qui ne mange rien ; celle qui partout, ne voit que désolation, et qui, plus que tout, voudrait s’absenter d’elle-même un instant, ou mieux, plusieurs, quelques semaines dans l’idéal ; celle qui pleure des litres, qui oublie même que, lorsqu’on rit, on n’est pas censé toujours chialer en même temps. Celle que ses amis viennent voir pour la perfuser à une substance plus douce que le chagrin. Te décorréler de cette affaire, reprendre le contrôle. Moi, cette pauvre fille, la prendre dans mes bras avec compassion, la rassurer, lui montrer du paysage plutôt que de la cantonner à sa chambre mortifère. Sortir avec moi-même, puisque j’ai toujours rêvé de rencontrer une fille comme moi ; me donner en autonomie l’amour que je mérite. Et aimer ça jusqu’à l’épiphanie, la vie, apocalyptique, saveur fin du monde. Danser jusqu’au levé du soleil, devenir un être d’agir.
Je suis là, je suis fière, de celle que j’étais, de celle que je suis, de celle que je vais devenir. Je déraille régulièrement, mais retombe toujours sur mes pattes.
----Je suis ici authentiquement. Il n’y a pas de non-dits ou d’arrière-pensées ; il n’y en a jamais, il n’y en aura jamais. Je ne garde rien pour moi, et surtout pas ma folie. Rien qu’on puisse extrapoler sur ma vie, donc ; le mal-être comme le bien-être. Ils sont là, sous vos yeux. C’est mon être que je dispose devant vous, je vous livre entièrement mes traumatismes et mes plaisirs. Mon intimité, même ; je suis une femme publique. J’ai aboli le mystère. Certains confient leurs corps, moi, je vous confie mes pensées. Les petites ramures, les interstices vicieuses qui me font sombrer ; les mêmes qui me font bondir de joie quelques minutes plus tard.
Tout le monde s’en contrefout. Les rares à me lire gardent un silence qui m’est confortable. Je ne me prive pas de me refuser à la vie privée, alors. Tout est plus beau de la sorte. Celui ou celle que je viens de rencontrer devient mon confident, nous partageons nos peines, nous sommes, l’espace d’un instant, plus importants que tout l’un pour l’autre. Nous quitter nous déchire, nous retrouver nous galvanise.
La contrepartie de cette radicalité est inévitablement l’obsession. Il m’incombe de prouver ma valeur en permanence. Prouver que je suis là, que j’ai toute ma légitimité à l’être. Qu’on m’aime… un petit peu... Sentir ma poitrine se gonfler, emplie d’un sentiment d’appartenance. Me donner aux autres, encore pour attendre d’eux qu’ils se donnent à moi.
Et quand cela m’est refusé, qu’importe que ce fût avec les meilleures raisons du monde. Qu’importe que ce fût par une seule personne après avoir emporté la validation de toutes les autres. Les regards réprobateurs m’anéantissent, les malaises m’avilissent. Par ces yeux-là je suis aliénée. Tout ce que je pourrais être en puissance : vacuité. Parfois, il suffit d’un non-regard. Le mépris, et j’imagine ce qu’on a pu dire sur moi. Potentialité conversationnelle réduite à néant. Il serait prétentieux de dire qu’on me déteste, enfin, certaines personnes ne m’aiment pas et ne seront jamais portées à m’aimer. Pas que je leur déplaise intrinsèquement. Ils ne me connaissent qu’au travers de quelqu’un, qui lui, a eu, eh bien, quelques problèmes avec ma personne… Je suis investie des dires d’un autre, désinvestie de moi-même. C’est l’arbitraire des circonstances qui le veut et je n'y peux rien. Cette impuissance, je ne la supporte pas.
Dans ces moments-là il vaudrait mieux que je disparaisse.
Les heures – les jours, plus exactement - qui suivent, l’angoisse me saisit au cou, dévore mes poumons. A la moindre occasion elle s’insinue dans mon corps ; lorsque je tente de dormir elle me paralyse ; lorsque je somnole elle me tire de mon sommeil par les larmes. Elle me punit et ne m’autorise aucun rachat. Je me dis… Si j’avais été un petit peu plus je-ne-sais-quoi… Mais il n’y a rien que je puisse faire. Il ne m'incombe que de souffrir silencieusement ; à espérer qu’on vienne m’étreindre pour apaiser la douleur. Incapable de me soutenir par moi-même, je restais suspendue à ma mère comme un enfant. J’appelais à l’aide. N’importe qui, critère de proximité géographique. Rarement, ma solitude s’épaississait. La plupart du temps il se produisait quelque chose d’insoupçonné. Avoir besoin des autres les portait inévitablement à rechercher mon attention. Par mes sollicitations intempestives je finissais par fédérer. Autour de moi bientôt des dizaines et des dizaines de personnes toutes disposées à mes démons. Là-dedans je désirais qu’elles me confient les leurs, histoire de me distraire des miens.
----Souvent il me semble que je pourrais te pleurer jusqu’à la fin des temps. Chaque fois l’émotion me surprend, comme intacte, renouvelable à l’envi…
… Mais la vie est douce… Et je te pleure avec mélancolie, non plus avec désespoir. J’oublie souvent que tu es exécrable, sanctifié par Beirut comme un amant mort à la guerre.
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