• Le consensuel facultatif

           En tant que femme cisgenre et hétérosexuelle, je ne prétends ni éclairer sur le relationnel des individus MOGAI, ni celui des hommes vis-à-vis des femmes par ce présent billet. Mon témoignage n’est que l’esquisse d’une expérience, à la fois singulière et anodine, d’une femme cishét du XXIème siècle ; sa prétention globalisante n’exclue pas l’exception.
           Chaque fois qu’une étude est genrée, elle soulève des vagues de protestations, et à juste titre ; se donner l’humain comme objet, c’est opérer une réduction et nécessairement perdre en précision d’analyse. Force est de constater, toutefois, que mépriser le sexe et sa caricature signifie encore s’exposer au danger.
           Quel danger ? Celui de l’ambiguïté ; celui de l’entreprise ; celui de la caricature. A priori des entités innocentes ; a posteriori, les chantres du non-consentement, c’est-à-dire de l’agression sexuelle et du viol. L’agresseur et le violeur ne sont pas marginalisés, ils font partie intégrante de la société, et la plupart du temps, ils s’ignorent. La banalisation du sexe au travers des stéréotypes va de pair avec la banalisation du non-consentement : l’abus est une erreur, aussi grave que répandue, et on en comprend presque la méprise.

           Les corps de la société, soucieux de se mettre au goût du jour, s’informent au sujet des diverses théories féministes, qui rentrent dans la culture populaire sans toutefois être appliquées. Les plaintes pour viol enregistrées sont croissantes ; 13 881 en 2015, 15 848 en 2016 et 16 400 en 2017. La parole se libère (affaire Weinstein, mouvements Me too et Balance ton porc), et peu à peu, le nombre de plaintes se rapproche du chiffre noir de la criminalité des viols, qui est estimé à 75 000 par an – on ose à peine imaginer celui des agressions sexuelles, pour lesquelles on enregistre 24 000 plaintes en 2017. De fait, les théories sont connues sans être appliquées, et il m’est avis - et j’ignore s’il s’agit de pessimisme ou de réalisme - que le nombre d’agressions sexuelles et de viols n’est pas en décroissance pour autant. Si les sociétés modernes prétendent se prévenir de l’abus, c’est bien plus par un mouvement de l’orgueil qui pousse à dédaigner les siècles passés que par véritable volonté d’agir.

           Un paradoxe social demeure confortablement installé dans la société française : beaucoup de femmes violées pour si peu de violeurs. Le violeur est une entité maléfique, il est pointé du doigt, on lui attribue un visage, un comportement, il est l’archétype que l’on cherche à fuir. Le mot est douloureux, il est vrai, tout comme le raciste et l’homophobe se refusent à de tels qualificatifs, car ils renvoient à des actes presque unanimement condamnés par la société ; des actes de haine, irrationnels. Cet archétype, en même temps qu’il est dénoncé, permet au reste de la société de se distancier et de se dédouaner du problème. L’agresseur est toujours autre ; aussi longtemps qu’il sera autre, les théories ne seront appliquées.
           C’est là toute la subtilité du statut de l’abus sexuel et du viol : ils sont la banalité du mal de l’époque. Ils doivent s’ancrer dans la société comme des maux aussi réels que graves et en même temps trouver leurs auteurs en son sein– ton frère ou ton ami. Si les auteurs les plus illustres de viols sont dénoncés, le tribunal social s’essouffle devant la multitude de dénonciations, qui pourraient par ailleurs faire obstacle au fonctionnement de la société (on ostraciserait peut-être plus de 100 000 individus par an…). Les connotations de ces termes les rendent difficiles à porter lors que leur reconnaissance dans l’espace publique est essentielle dans la perspective d’une réduction du nombre des viols et des agressions sexuelles.

           La plupart du temps, l’agresseur ne se balade pas avec du GHB ; il ne rode pas la nuit à la recherche d’une victime ; il ne prend pas un plaisir sadique à agresser ou violer. D’aucuns se souviendront de celui qui, brandissant au zénith son drapeau d’allié, se révèle parfait prédateur au crépuscule. Il asservit – et c’est bien là la marque d’une certaine volonté - sa raison à son instinct sexuel avec l’appui des mœurs. Celles-ci ritualisent l’ascension jusqu’au sacro-saint sexe – la récompense et la suite logique. Le sexe n’est pas accessible au moyen d’une fonction. Le consentement doit primer, or, il est souvent tributaire des mœurs.
           Dès lors, il n’est pas inclus dans la fonction ; il fait du copinage avec l’ambiguïté, il est laissé sous-jacent, les mœurs viennent parler à la place du langage verbal (qui reste le meilleur gage de consentement !) et corporel. Une invitation au restaurant ou à boire un verre ne donne pas accès de droit à du sexe. Pénétrer le domicile d’untel ne donne pas accès de droit à du sexe. L’établissement d’un contact physique ne donne pas accès de droit à du sexe – d’autant qu’il peut s’établir de manière unilatérale. De même, qu’un contact physique soit consenti n’implique pas que ceux d’une nature différente le soient. Que des données qui, in se, n’ont aucune signification – se mouvoir dans l’espace restaurant, bar, boîte de nuit, appartement, lit… - coordonnent un comportement et non l’annonce éclairée du consentement est symptomatique de l’aspect facultatif du consensuel dans le relationnel humain. Ces codes sont appliqués avec d’autant plus de rigueur qu’ils sont à peu près intégrés de tous. Pourtant, le sexe n’est jamais une question de droit, mais de permission. L’octroi abusif d’une telle permission sous couvert de mœurs relève tant de naïveté que d’égocentrisme. Le consentement ne fait pas système. Appliquer un schéma systématique aux relations humaines demeure une imprécision dangereuse, potentiellement productrice d’abus sexuels. Par nature, le schéma est caricatural et échoue à représenter la singularité de l’individu. Il est nécessaire de se questionner sur la validité de ce qui pourrait ressembler à une opportunité sexuelle si le langage peine à s’établir, et sur la manière d’entreprendre une telle opportunité. L’humain appelle à résister à son objectivation ; si son traitement administratif peut être systématisé, ce n’est pas le cas de son consentement.


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