• Au-dedans la danse endiablée du vide et de l'espérance

         Cette désagréable impression, omniprésent et lancinant murmure... 

    Je cours à en prendre haleine, avec toute cette fureur que je tiens de ma frustration ; j'espère pouvoir changer le cours des choses avec ma rage et ma détermination. Je m'abîme dans la contemplation du firmament, astres et lampadaires, un instant, je crois avoir la force d'être aimée.
    Mais, entre autres vanités, la vanité littéraire et la vanité d'espérer, la vanité des corps. Ni les mots, ni la rage ne créent l'amour.

    J'aperçois la porte de la maison et je m'en retourne. Demain, j'irai de nouveau courir.
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          De silhouettes en silhouettes, j'observe une incoercible obscurité. Le gong résonne et trouve écho en chacun de ces êtres.

          La première fois que je l'ai rencontrée, c'était en cette chose filiforme, que je qualifiais à l'envi de déchet : une obscurité tout à fait éminente, une pure désertion. Ses rires respiraient la lassitude et il lui coûtait de s'esclaffer. Ses paroles étaient de longs gémissements, avec l'ouïe, ce n'était que vétilles, avec l'esprit, elles me suppliaient d'abréger sa misérable vie. Un rayon de soleil illumine ses iris châtains qui deviennent limpides et me présentent, sans contention, toute leur déchéance.
    Aujourd'hui encore, le songe de ce vide me donne le vertige.

          J'en eus par la suite des exemples moins flagrants. Je me tiens devant lui. Il semble vide, ou plein d'un vide vorace. Je croise son regard, peut-être avec un sourire. Il baisse les yeux, et parfois, il pleure.
    En spectatrice, je capture le souvenir de cette immobile neurasthénie.

           De cet amour-là, dont la puissance pourtant me surprit à plusieurs reprises, je ne retrouve plus l'empreinte. C'est là le potentiel insoupçonné de la raison, une fois délestée de la vanité. Maintenant, ses rictus ne me renvoient qu'à la désolation de son âme, âme que je plains ; il lui manque ce qui fait un homme plus grand que sa simple vie, l'amour de la vie des autres. Il n'avait pas la grande idée humaine, lui. Quelle remarquable vulgarité, à peine dissimulée. Il me parle de me baiser dans les buissons, moi dont la douceur et la naïveté n'inclinaient qu'aux baisers. Heureusement, les poissons morts qui jonchent le lac lui ôtent toute envie de me déshabiller.
    Je ne pensais pas qu'un jour, je me réjouirais de la mort de poissons.

            Celui qui me supplie, je lui demande de reprendre de la contenance et de me faire face, mais ce n'est que pour s'abaisser davantage dans cette effronterie mal placée. Son corps et son esprit sont des plus creux qu'il m'ait été donné de rencontrer, creux jusqu'à l'invraisemblable, et je leur prête une cavité, une bien maigre profondeur qui déjà, est de trop. Je pleure beaucoup lorsque je le renvoie ramper piteusement ailleurs.
    En s'en allant, il traîne derrière lui un suc nauséabond, dont je me trouve être enduite à mon grand dam.

            Je me souviens combien il avait couru pour échapper à la menaçante obscurité, et combien il fut impitoyablement englouti. Il avait eu le temps de saisir ma substance et de l'emmener avec lui désespérer. Et comme le désespoir est toujours préférable au vide, il m'en avait sauvée par la tristesse. Nous étions jeunes et nous souffrions le départ de l'Amour que, depuis lors, ni lui ni moi n'avons retrouvé.
    Ces mains quelque part se tiennent toujours avec autant de timidité et d'innocence, malgré les relents putréfactifs induits par le temps.

             Souvent je vaque et les échos du gong au loin s'estompent. Je m'élance et je crois pouvoir rendre justice aux grands mots avec mes indécentes amours.

    Désormais, je l'entends avec la clarté et la distinction avec laquelle il n'a jamais cessé de sonner.
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    Je ne pouvais que constater l’insuffisance de tous mes efforts, et en redoubler. Qu’au moins, si on ne m’aimait point, ce fut par malheur, arbitraire infortune, et qu’on ne puisse me blâmer d’une quelconque oisiveté. Me parer aux arts, aux sports, soigner mon apparence et me disposer à la réussite ; ce serait encore un échec, certes, mais un digne échec, et des plus relatifs. J’y perds de mon honneur, celui de n’avoir jamais souffert le refus tout en ne donnant pas dans l’exubérance ; mais j’y gagne une leçon d’humilité et à me déployer, à exploiter ce corps et cet esprit, ce temps à me faire plus sage, passionnée et élancée.
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    La mort, la peur et le sang
    Ne sont plus que des idées, ma peau neuve
    Aime avec fureur, l'en trouvé-je diminuée ?
    Ton rire et ton sourire appartiennent à la nuit
    Diable, ce que je chéris les moments que tu me donnes
    Toi qui te tapis dans la solitude. Je te vois
    Déjà sur le départ, à mon grand abattement
    Mais si ta présence à mes côtés n'est que le signe de ton échec
    Je veux bien te regarder disparaître joyeusement.
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    Depuis longtemps je me suis évanouie
    dans la douceur de ton regard
    Et cette furieuse envie de te déchirer d'Eros
    Mille fois je me suis demandé
    S'il était vain de t'aimer
    Mais cette passion, déjà toute vive, jadis dissipée
    se lasse du mystique, et veut se dévoiler.
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    L'amour ? Non, peut-être que tu lui préfères l'érotisme ; ah ! Mais je ne peux pas, pas plus qu'à un autre, t'écrire le bel érotisme ! Ce que tu rirais, j'imagine, de l'innocence que je déploie à t'aimer. La voudrais-tu, cette innocence, expirer pour la grâce de la luxure ?
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          Je ne peux empêcher cette pernicieuse pensée d'envahir mon esprit et d'en ôter l'optimisme.
    J'imagine quelque part que tu me méprises et me fuis, mais qui sait, c'est peut-être cette aversion que j'aime, parce que je la sais détester à juste titre ce que je déteste en moi. Je tente bien d'y remédier, à cette médiocrité, et aujourd'hui je suis déjà meilleure qu'hier.
    Mais si ce n'est pas suffisant, alors c'est toujours médiocre.
          Comme s'il semblait plus naturel pour l'humain de haïr, comme s'il y déployait toute la pureté de son sentiment, je soupçonne toujours mon amour de cacher de prosaïques réalités ; et le leur, puisque je persiste à vouloir être toujours plus « aimable », et à me contenter de guillemets. Je ne me sens authentique que dans la noirceur.
    J'en connus, des hommes : ils firent tous preuve de sincérité en me montrant un cynisme qui bientôt habita ma raison. Parfois, quand je détaille mon reflet, un sourire bon enfant vient étirer mes lèvres et je songe : « Mais enfin, c'est tout à fait naturel qu'on ne veuille y mettre que des choses sales, dans ce corps. » Puis je vaque, dédaignant un instant ma déraison.
           Je ne dors plus qu'à moitié à cause de cette obsession et de ces funestes émotions. Quand je tente de les expliquer, c'est chaque fois la raison et l'incompréhension ; et quand bien même, je ne suis pas certaine que la compréhension arrangeât grand-chose à ma condition. Je la surprends souvent à se rire de ma panique, ma propre raison, avec son calme placide, elle pose les bonnes questions, celles qui ne font qu'accroître son rire, devenu guttural, et ma panique, devenue incontrôlable. La retranscrire dans toute sa ferveur serait prêcher le pathétique, et il n'est plus apprécié. Je m'abstiens, alors, quoique je ne sois pas certaine de m'y tenir.


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