• Dysharmonie 3 - Plusieurs fois par cette malédiction j'ai embrassé la mort (Part 1)

    Penser, c’est réapprendre à voir, diriger sa conscience, faire de chaque image un lieu privilégié
    (Le Mythe de Sisyphe, Albert Camus). 

          L’Albatros s’était trouvé une nouvelle passion et il la pratiquait avec acharnement : il pleurait comme un Moineau, être de faible densité, mono-émotion. Tous les jours, dès qu’il avait un peu de temps libre, un peu de temps à penser, il pleurait, sous n’importe quel prétexte. Il pleut ; il s’ennuie ; il est ému par une série ; il angoisse sur son avenir ; il est tout seul au nid ; il reçoit un message adorable ; les chats lui font un câlin ; un beau discours : il pleure. Ça lui venait aussi naturellement que de rire ou d’éternuer. À peine avait-il le temps de sentir poindre une émotion que les larmes lui dévalaient déjà le visage. Il ne serait pas cavalier de préétablir que la plupart des actions et pensées mentionnées dans ce texte le furent dans les larmes et la mélancolie. Cette habitude, il l’avait prise il y a peut-être un mois et demi, et l’époque où il ne pleurait que lorsqu’il songeait à son défunt chat lui paraissait invraisemblable. Il avait aimé cela, pleurer son chat, il lui semblait que c’était un chagrin qui en valait la peine. 

    Jour 697 (30 avril 2024): Cette relation me donne envie de me passer la corde au cou de sentir mes cervicales ROMPRE pour que jamais plus je n'aie à pleurer.

          Le plus souvent, il pleurait sa petite Mangouste. Les autres fois il tentait simplement de faire diversion, faisait mine d'être occupé à d'autres malheurs, par honneur - cette valeur qui lui paraissait hautement conceptuelle tant il n'en avait plus.   
          La Mangouste n’était plus là pour le réveiller quand il s’endormait apaisé sur le canapé après quelques caresses, mais sa tristesse lui faisait reprendre ses esprits bien plus efficacement.

    Jour 691 (20 avril 2024) : Tu m'aimes paresseusement 
    Sur tes genoux, comme ton chat

          Une fois qu’il avait été invité chez des amis et fouillait ses placards à la recherche d’une denrée à rapporter, il n’avait pas pu se résoudre à prendre le paquet d’apéritifs marque Carrefour - Crispy Party, goût tomate, oignon, cacahuète - que la Mangouste lui avait emmené voilà dix-huit jours.  Maladresse adorable : la Mangouste voulait faire bonne figure en ne venant pas les mains vides, ignorant que le rendez-vous était donné dans un bar. Oui... Adorable. Pour un peu il aurait pris le paquet dans ses bras en pleurant, comme s’il s’agissait d’une éminente et rare relique de la Mangouste. Dans son frigidaire il observait les aliments achetés par la Mangouste avec mélancolie, comme les dernières traces effectives de sa présence chez lui : mayonnaise, fromage de chèvre, gruyère, lait… Il n’y touchait plus, ça l’écœurait. Sûrement qu’il devrait. Ça allait pourrir, comme beaucoup d'autres aliments du nid et son cerveau saturé par l’abandon ; le plafond de la salle de bain, également.           

    Jour 694 (23 avril 2024): Est-ce qu’il m’aime ? Enfin, tout de même… il est allé chercher la mayonnaise ce dimanche. 

          Il y avait d’autres témoignages de sa présence dans le nid : le casque qu’elle portait autour du cou, le t-shirt qu’elle lui avait rendu, le porte-bougie chat, son foutre sur les draps, sa brosse à dents, la serviette qu’elle utilisait, les mots qu’ils s’étaient échangés, la lettre en origami qu’elle lui avait offerte avec ses petits coupons « invocation aventure », « invocation chauffage », « invocation binge watching », la petite figurine qu’il voulait lui donner et qu’elle a oubliée la dernière fois… Toutes ces vétilles rendaient le sentiment d’abandon encore plus poignant : une amertume salée le saisissait, lui coulait dans la gorge pour se rependre insidieusement dans sa poitrine et le lancer. Les témoignages d’amour s’étaient transformés en témoignages de trahison.

          Voilà, l’Albatros avait un gros, gros chagrin d’amour, et des plus communs. Pauvre, pauvre poulette... Il pouvait s’épancher là-dessus longtemps, ressasser les souvenirs : la Mangouste l’avait inspiré dès le départ.            
          Maintenant il lui fallait réécrire cette histoire sans la corrosion de l’obsession. La cristallisation dans laquelle l’Albatros avait figé la Mangouste devait fondre comme neige au soleil. Sans la déformation de la glace, la Mangouste devait prendre les traits de la Harpie, le Moineau ceux de l’Albatros.     
           C’était simple.            
           Il suffisait de tout réécrire. Tuer ce fichu Moineau une bonne fois pour toutes. 
          
    La cristallisation était née sous la pluie de Saint-Etienne le week-end dernier. A brûle-pourpoint l’Albatros avait senti le besoin impérieux de garder la Mangouste à ses côtés, quoi qu’il en coûte. Moment édifiant où il décida de sacrifier son honneur sur l’autel de l’obsession : 

    Jour 696 (29 avril 2024) : Je pense à toi en permanence je t'aime je t'aime je t'aime je t'aime je t'aime je pourrais te glisser des petits mots dans la boîte aux lettres camper devant ta porte te chercher dans une autre ville.

          C’eût été le sursaut nécessaire pour sauver la Mangouste de l’oubli, si seulement elle n’avait pas déjà pris la décision de s’y plonger la gueule la première. L’Albatros s’était persuadé de pouvoir l’en tirer à la force de son amour et de sa détermination. Il avait essayé de les lui prouver de maintes manières, discours, lettres, messages.     
                Rien n'avait suffi.       
                Rien n’aurait été plus suffisant pour la Mangouste.  

    La lassitude est à la fin des actes d’une vie machinale, mais elle inaugure en même temps le mouvement de la conscience. Elle l’éveille et elle provoque la suite. La suite, c’est le retour inconscient dans la chaîne, ou c’est l’éveil définitif. Au bout de l’éveil vient, avec le temps, la conséquence : suicide ou rétablissement (Le Mythe de Sisyphe, Albert Camus).

          L’Albatros avait plongé au plus profond de lui-même, tenté d’y voir quelque chose. Contre toute attente il avait trouvé un arbre, un arbre mort, gris, grêle, avec un trou en son centre. La Mangouste était là, accroupie aux pieds de l’arbre, différente… Indifférente. Dans l’obscurité il peinait à discerner les traits de son visage.   Lorsqu’elle l’aperçut, elle se redressa lentement. Il n’avait jamais été très bon avec les regards, mais enfin dans ses yeux il ne voyait rien, et dans sa voix non plus il n’y avait rien. Rien que la monotonie de la résolution. Etrange sensation que de voir l’animal qui lui gratouillait le crâne quelques jours plus tôt et qui lui murmurait « je t’aime » tout doucement au creux de l’oreille subitement dénué de sentiments à son égard. Anesthésié, comme remplacé par un inconnu… Non ; plutôt un ennemi. De sa voix toujours monocorde, il lui finit par lui dire :  
          « Moineau, mets la tête dans le trou de l’arbre. »      
        Et l’Albatros de s’exécuter immédiatement pour prouver sa bonne foi. Alors qu’il plaçait sa gueule dans le trou, il sentit les pattes de la Mangouste se poser sur lui puis lui caresser les hanches. Surpris, d’abord, puis envouté, il gémit, les gémissements le Lévrier n’aimait pas ça, enfin ce n’était pas grave, la Mangouste n’était pas le Lévrier, il pouvait bien gémir tout son saoul et d’ailleurs c’est ce qu’il fit. L’Albatros voulut se retourner embrasser sa Mangouste, sa Mangouste qu’il venait de retrouver, mais celle-ci la maintint fermement contre son bassin.            
       « Non ; il te faut garder la tête dans le trou de l’arbre », le corrigea-t-elle sentencieusement.         
          Et alors qu’il prononçait ces mots, il aventura ses pattes entre les cuisses de l’Albatros. Il lui trifouilla l’intérieur longtemps : un doigt, puis deux, puis trois, puis quatre… Et enfin, le poing. A défaut d’obtenir sa bite, l’Albatros s’était fait fister pour la première fois. Sens propre comme figuré - la Mangouste avait un talent pour la métaphore. Quand l’Albatros rouvrit les yeux il se heurta de plein fouet à l’Absurde. Il n’y a rien à voir dans le trou de l’arbre. Il peut bien plisser les yeux pour tenter de discerner quoi que ce soit : il n’y a rien, seulement ces spirales répétitives, les ramures noires de l’écorce.     
       Pas plus l’abîme que le trou de l’arbre n’ont de sens. Il incombe donc à l’Albatros d’abandonner la perspective de comprendre et de se sauver. 

    Jour 685 (31 janvier 2024) : Vanité qui me rapporte à toi, par la distance la plus artificielle et futile... Nous ne sommes rien d'autre, les humains, êtres raisonnables ayant besoin d'évènements absurdes pour se souvenir qu'ils s'aiment.     

       Au lieu de quoi, il pleure, maintenu dans le trou de l’arbre par la Mangouste. Il ne s’échappera pas. La Mangouste lui croque le cou férocement et le prend. Quelques coups de reins plus tard, elle en a fini de lui, l’attrape par les plumes de la nuque et se place face à lui. Droit dans les yeux, toujours avec ce rien au-dedans, elle lui fait quelques caresses tendres. Etrange : elle ne le fixe pas aussi intensément, d’ordinaire. Elle lui demande sans transition :         
          « Tu veux qu’on se dise bonjour si on se croise dans la rue ? »            

          Jour 700 (1er mai 2024) : Je voudrais             
          Que nous redevenions      
          de parfaits inconnus…

          Pour mieux t’aimer cette fois.

       Ah, l’Albatros fait encore, toujours la même chose, il pleure… niche… Devant ce spectacle la Mangouste ne ressent rien. Entre deux supplications, elle se dérobe à sa vue.
       Après quelques pas, du foutre lui coule des cuisses. Dans le reflet d’une flaque, il constate que des lésions mauves lui sont restées sur le cou, les touche, perplexe. C’est comme si la Mangouste était encore un peu avec lui, non ? Son foutre, sa bave, son odeur sont d’autant de prolongation de son être.       
          Ses plumes gluantes lui faisaient perdre en envergure.

    Jour 277 (6 décembre 2018) : Pauvre bête que l'albatros aux dents aiguisées   
    dont les ailes et les pattes sont enlisées 
    Pourtant si grandes, géant des mers, tu aurais pu voler !

         L’Albatros fut contraint de rester dans l’abîme. Seul avec ses tourments, c’est là qu’il se trouva au sommet de son art – ni l’écriture, ni le dessin ; la pleurnicherie. Peu à peu il sortait de sa torpeur, s’accoutumait à l’obscurité. Depuis les alentours de l’arbre, il distinguait non loin, mais faiblement, de multiples halos spectraux.     
          Au bout de l’éveil il lui restait à faire un choix :       
          Le suicide       
          ou le rétablissement.  
        Il n’hésita pas un seul instant. Se suicider pour renaître. Tuer le Moineau et soigner l’Albatros.
         Il ne voyait pas grand-chose, mais parvint à se rapprocher, guidé par la faible lumière des halos. Entreprise fastidieuse dans une abîme, il ne devait rien oublier de ce qu’il voyait. Le bon comme le mauvais : il ne voulait rien s’épargner.  
         Il voulait tout.  

       Il se place face à la première vision et discerne, en formes diffuses et cyan, la Mangouste et lui-même entre les murs beiges de son terrier. Les dalles lumineuses de l’ordinateur se reflètent dans les petits yeux de la Mangouste, qui s’affaire. Tac tac tac. Assurance. Tac tac tac. Banque. Tac tac tac. Pré-plainte en ligne. Elle a des égratignures dans le cou et sur la tempe, et un certain courage. Le sol, le rebord de la cheminée et le bureau sont jonchés d’emballages, cartes, mouchoirs, tabac, stickers, habits en boule, bouteilles... Sur ses draps troués et tachetés par les mégots, à ses côtés, il se sent étrangement bien. Pourtant, ils se connaissent à peine : liés par le racket, ils sont restés ensemble bien plus longtemps qu’ils ne l’avaient prévu.  
       L’Albatros sourit, mouvement du bec qu’il ne parvient qu’à exécuter mélancoliquement, et poursuit sa déambulation.   

      Dans une nouvelle vision, la Mangouste et l’Albatros sont enroulés l’un autour de l’autre. Ils soupirent ensemble tandis que le camion et l’entièreté des structures métalliques de l’entrepôt vibrent sous l’impulsion des caissons. La musique ne s’arrête jamais, et il y a quelque chose de fou, de proprement fascinant là-dedans, à ce qu’ils sont en train de vivre. La patte de la Mangouste sur sa joue lui procure des sensations insoupçonnées. Il n’aurait jamais pensé qu’un si petit être puisse lui en donner de pareilles. Il a le nez contre son t-shirt et s’enivre de son odeur, naturelle et espiègle. A ses côtés l’Albatros ne cesse d’être étonné, de lui-même comme d’elle, et de la vision du monde qu’elle lui présente.  

                Alors il se sent revivre 
                et tout lui semble beau.         
       L’Albatros se détourna de la vision avant son terme.

        Une autre vision, toujours dans le hangar désaffecté. Tandis que la faune s’agite autour d’eux, la Mangouste s’approche, lui parle au creux de l’oreille, assez fort pour qu’elle entende malgré les caissons, à plusieurs reprises ; en même temps elle laisse sa patte lui frôler tout doucement la cuisse, sur ce petit pan de peau qu’il lui reste entre son short et ses bas.           
        L’Albatros voudrait qu’elle lui raconte encore bien des banalités de cette manière-là.

    Jour 699 (2 mai 2024) : Ce moment. En boucle. Notre désir avait donné du sens à tant de choses.

        Là encore il se détourna. Il tira par mégarde dans le porte-bougie chat, qui rebondit à quatre reprises. Inquiet, l’Albatros le cueillit dans ses ailes ; heureusement le bois se trouvait bien résister aux impacts.   
       Le porte-bougie perd soudainement en tangibilité et il se trouve au milieu de sa chambre. C’est la Saint-Valentin ; chouette, ils s’aiment bien et prévoient de se le montrer. La Mangouste est passée le récupérer en voiture pour l’emmener visiter le Palais du Facteur Cheval. Au départ, il s’est senti un peu intimidé par les démonstrations de la Mangouste, gardait ses réserves - il avait eu ce même sentiment pour la lettre en origami avec ses coupons. Très vite, cependant, l’Albatros lui tournoie autour, enchanté : personne n’a jamais rien fait de tel pour lui ! Preuves d’amour pures et innocentes, dont on ne peut décemment douter, dont on ne retient donc que : oui, elle m’aime ! Elle m’aime ! Et surtout : quelle chance ! A la fin de la journée le chat sur le porte-bougie se réchauffe les pattes sur la commode et ils s’enlacent à sa lueur.       
          Cette fois-ci, l’Albatros trébucha sur une bouteille de lait. Son liquide se répandit dans les artères de l’abîme. Il se débarbouilla les ailes avec le reste de la bouteille. Par milliers il valait mieux le lait que son foutre. 
         Dans cette vision, l’Albatros pénètre sans prévenir dans le terrier de la Mangouste. Lui-même ne sait que trop penser des visites surprises, enfin, il est là, maintenant, devant elle, il faut assumer... Ah ! Elle arbore cette expression crispée, alors il baragouine et elle lui tient ces propos sans qu’il ne soit capable de restituer, au juste, comment ils en sont arrivés là :       
           « Tu ne comprends rien (elle lui a répété tant de fois… Elle pourrait tout aussi bien lui avouer directement qu’elle le trouve bête). Si tu ne changes pas, tu vas perdre tous tes amis.          
          - Non, ma Mangouste… répondit-il à regret, pour lui-même, C’est toi, et toi seulement que je perdrai... »
        Il s’en vint fantomatique. Ils en avaient eu des beaux souvenirs, mais très vite ils s’étaient mal aimés. Il buta sur un tupperware rempli de röstis, en picora un pour la route.     

     
         Vision suivante. La Mangouste et lui, dans sa chambre. Elle tripote son téléphone, lève les yeux vers lui, parfois, qui travaille depuis sa chaise de bureau. Lui lance un regard appuyé - performe l’amour -, s’exclame :      
                « Je te trouve juste beau. »      
           Ou :
                « Je t’aime. »   
         Or, lorsque l’Albatros se lève de sa chaise pour accourir dans le lit, il ne se passe rien de ce registre. Il pose la tête sur son torse, lui parle (enfin, du temps libre, profiter de sa Mangouste !), mais la gueule de la Mangouste ne remue pas en réaction. Souvent, très souvent, elle est ailleurs. Hermétique, elle ne l’entend pas.    
        Ils ne se sourient pas, ne rient plus. Vacuité conjointe : ensemble, ils ne font que s’aliéner.

    Jour 690 (15 mars 2024) : Quand tu me laisses seule je recommence à penser je recommence à écrire à dessiner à travailler     
    Je recommence à être.

       La séquence reprit du début et il se vit ignoré, encore et encore. Sa poitrine le lança, tant et si bien qu’il se dirigea vers les halos les plus proches.          
        L’Albatros est seul, statique. Il écrit sur son téléphone. Pleure, enrage, maudit la Mangouste.

    Jour 693 (22 avril 2024) :       
    Tu n'es plus ma Mangouste, ou ma petite Hermine     
    Pas plus que je ne suis ton Moineau     
    Par ton désamour me voilà Albatros     
    Et non seulement je ne t'aime plus, mais encore je te méprise et te déteste  
    Toi ; mon Harpie, ma plus grande détractrice    
    Va, brûle ton cerveau dans les caissons 
    Pourvu que tu sois loin de moi

          Une vision qui ressemble à beaucoup d’autres, somme toute.            
      
    Il reprit sa route pour trébucher sur une boîte d’apéritifs, qu’il déconsidéra immédiatement. Ce n’était pas le moment pour la Crispy Party.  
          Souvenir ambivalent, cette fois-ci. Ils sont au 405, ses amis le Lion et le Guépard sont là ! L’Albatros, en joyeux luron, s’agrippe à sa Mangouste d’amour, dont le toucher le galvanise toujours. Heureux, simplement, d’être avec des bêtes qu’il aime profondément. L’alcool joint à la joie, l’Albatros, abruti, ne se souvient plus de ses propos. Une fois rentrés, la Mangouste ôte ses ailes de son torse et lui intime de s’asseoir pendant qu’elle cuisine.       
        Ah… A ce moment-là, il est déjà trop tard, sûrement… La Mangouste en a marre, marre, marre, de lui, elle en a marre depuis des jours et des jours, des mois peut-être. Faute d’entente, elle a perdu patience : il lui est devenu tout bonnement insupportable.  
        C’est ce qu'il se répétait lorsqu’il se surprenait encore à des songes amoureux. Dans la mesure où elle en était venue à le mépriser, regretter sa Mangouste devenait un non-sens – revenait à s’attacher à un avenir malheureux, où il continuerait à l’aimer sans réciprocité.      
       Une dernière vision le conforte dans cette impression. Ils sont sur le canapé et l’Albatros est heureux de retrouver sa Mangouste. Ils mangent et jouent, mais se parlent à peine, lui parler, la Mangouste ne peut pas trop, ça a fini par l’emmerder à terme, il semblerait : elle dit qu’il ne sait parler que de lui-même. L’Albatros s’inquiète de ce silence, lui demande à trois reprises si elle va bien. Chaque fois la Mangouste s’agace de cette sollicitude. Il vaut mieux qu’ils se taisent.    
         Le matin l’Albatros l’assaillit de baisers et elle lui sourit tendrement, encore endormie. En partant, la Mangouste le serre dans ses bras et lui dit je t’aime, comme souvent - lorsqu’on se dit ce genre de mots on peut imaginer qu’il n’est pas encore trop tard ; hélas...      
     
       
    L’Albatros avait été si absorbé par toutes les visions qui l’entouraient qu’il ne s’était pas rendu compte qu’il n’avait pas pleuré depuis le début de son périple. Il avait tenu bon et c’était fini. Il y croyait fermement. C’en était fini des larmes. Il pouvait contempler les souvenirs, bons comme mauvais, avec la résolution que l’on exhibe avec maturité lorsqu’on parvient un tant soit peu à supporter le poids de la réalité.
           L’Albatros agita ses ailes. Le Moineau avait déjà présenté ses adieux à la Mangouste.

    Jour 687 (7 février 2024) : La Mangouste s’amuse de la situation ; elle dit : « Tu m’aimes ! », et le Moineau de répondre, « Oui, je t’aime », avec cette expression funeste, de sorte que, par cet aveu, il semblait lui présenter ses adieux.       

          Il était prêt ! Il était prêt, maintenant, à vivre sans la Mangouste. Il n’avait plus besoin de s’accrocher au souvenir de cet être d’austérité qui n’avait jamais réellement pu l’aimer. En même temps qu’il prit son envol pour regagner la surface, il traversa la vision du Moineau. Des traînées cyan éclatèrent sur ses ailes.

     


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