• Un peu de mort, un rien d'urgence, et dans ces corps brûlants résonne déjà le cor strident

    Je me suis montrée ingrate.
    Je te remercie de m'avoir gratifiée d'un sourire si sincère et de m'avoir sauvée des affres de la haine, qui, succinctement, reviennent me hanter. Je préfère de loin le désespoir de la passion à celui de la haine.
    Tu n'en sais rien, mais j'imagine que tu en serais ravi. Je t'en prie, quoi qu'il arrive, d'être bon. Je me suis trop abîmée par effronterie masochiste.

    Toute cette implication, toute cette dévotion, ce soin particulier, pour n'être que corps... J'entends leur vipère voix, elle me susurre, suave, les phrases les plus altruistes avec les intentions les plus sournoises. J'en frissonne d'horreur. Et finalement je me tasse sur la pile de corps ; c'est mon corps, là, impersonnel, sans particularité, et mon être au-dedans, loisir ayant fait son temps. Si vite dénué de tout intérêt. 
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    Donne-moi tes mots ; c'est bien plus que ce que je pouvais espérer.
    Tes mots sobres ont la magie du divertissement.
    Ils lancent en moi un élan incroyable.
    Les contradictions s'abaissent et réfléchissent entre elles comme un labyrinthe de miroirs.

    Peut-être, peut-être te trouverai-je
    Au nom des morts je ne peux cesser de te chercher
    Au nom des morts je ne peux abandonner
    Pour toutes ces opportunités avortées, saisir les miennes.
    Je n'arrive à taire aucune de ces voix dans ma tête. Celle de la culpabilité, de la haine et de l'amour, danse macabre, ode à la vie.
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    Avec effronterie, de la folie à l'ataraxie
    Qu'elle disait ! C'est qu'elle en fit bien vite le tour, de l'ataraxie.
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           La pièce sentait le remugle. Les stores, lâches, brisés, laissaient les timides rayons du coucher de soleil inonder la chambre de teintes brunes et obscures. Sur le plancher de bois gisaient habits, carnets, paperasse, godasses ; une ou deux boîtes ; à l'origine de ce capharnaüm, une valise cabossée, jamais tout à fait vide ou tout à fait remplie, perpétuel départ, perpétuel retour. Les crayons avaient suspendu leur vol au beau milieu d'une phrase et se dispersaient sur la planche qui lui servait de bureau. Ils se perdaient, et les feuilles noircies, sous d'énormes classeurs ; une confrontation obligatoire à laquelle Chris se dérobait pourtant par le sommeil, l'espoir qu'il pût être repos constamment renouvelé, et constamment déçu.
           Sa tête blonde était si profondément engoncée dans les coussins qu'on l'eût cru mort, son corps, à la renverse, comme subitement tombé par narcolepsie ; enfin, la blancheur de cet être, qui ne voyait le soleil qu'au travers de ses volets cassés, rappelait celles des cadavres frais. Parfois, il s'agitait ; il changeait de position, murmurait, pleurait, aussi.
    Son cerveau malade lui jouait des tours, et le sommeil n'était plus repos puisqu'il attestait sa folie, et pire encore, la prolongeait. Les bras de la folie sont si larges, si longs ; comme les racines d'un arbre centenaire sont profondément enfouies sous terre, ces bras s'étendent jusque dans les méandres de l'âme : dans l'inconscient. Dans son propre rôle de metteur en scène, il se torturait encore par la douloureuse alchimie du contraste. Ses rêves étaient toujours les mêmes ; autres, c'est-à-dire dans le déni. Entre autres, ce rêve salvateur et cruel qui lui permettait de croiser à nouveau ce regard vert, dont le néant avait ôté toute vivacité pourtant. Ether s'incarnait avec une beauté désespérée. Elle riait et dansait, s'emparait de son visage de ses doigts graciles. Elle gratifiait souvent Chris de paroles sages qu'il n'écoutait pas, bien trop heureux de retrouver cette chaleur onirique. Mais les arbres verdoyants, la robe bleue, le chant des oiseaux ; d'où viennent-ils, sinon du néant ? Du néant d'un monde qui, à défaut de beauté, se gorgeait de souvenirs d'une beauté ; les humains aiment tant à la conjurer, cette feue beauté.
           Lorsque Chris se décidait finalement à palper ce corps et cet être qu'il chérissait tant, une désagréable sensation l'éprenait. Il éprouvait la beauté, ce qui n'était pas dans ses habitudes. Ses lèvres sèches s'humidifiaient au contact de la douceur de celles d'Ether ; il reprenait vie, ce qui n'était pas non plus dans ses habitudes. Puis la passion, que revoilà ! Il prend son visage, il plaque ses lèvres contre les siennes avec fougue, et cette fougue parle, elle dit, sournoise : « Ce n'est pas réel. » Alors Chris se ravise, il éloigne son visage du sien, interloqué, pour la dévisager. Les bras de la folie, parfois, se heurtent à quelque raison. Ether fronce les sourcils et s'empresse de reprendre le pauvre baiser. Elle appuie ses lèvres avec une telle force ! La fougue est confuse : « Est-ce réel, cette fois-ci ? », les baisers se prolongent, et bientôt la fougue prend le visage de la folie et s'écrie : « Dieu merci, c'est réel ! ».
           Cette prompte réjouissance était presque toujours suivie du réveil de Chris. Son corps endoloris par le sommeil tressautait comme s'il fut tombé de plusieurs milliers de mètres, d'une joie édénique à une réalité géhennique. Guère chant ! « Pan ! Pan ! Pan ! Pan ! », détonations infernales qui font vibrer tout son être d'un frisson d'horreur ! Le beau visage d'Ether ? Non, une passoire sanguinolente ! Et Chris, comme ses aïeux jadis, devenait le réceptacle de la Géhenne, par laquelle elle se creusait toujours plus en profondeur.

    Un peu de mort, un rien d'urgence, et dans ces corps brûlants résonne déjà le cor strident


           Angoisse face à l'inéluctable, l'inestimable néant... L'angoisse, d'autant plus oppressante qu'elle nous empêche d'appréhender la mort. Toutes ses sensations qui étouffaient Chris, finalement, en faisaient un parfait vivant.



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