• Élégie à la Capricieuse (vierge)

    Texte datant de juillet 2015.
    Représentatif de ma bataille actuelle, je ne l'aime pas vraiment, mais il a plus que jamais sa place ici (malheureusement). 

    _________________________

     

    Je n’arrive plus à écrire.

    Élégie à la Capricieuse vierge


    Certes, ça tombe sous le sens. Après plusieurs mois d’absence d’encre, plus d’un semestre à manier maladroitement la plume.
    Je peux concevoir qu’écrire tout en ne sachant plus écrire puisse paraître antithétique ; mais mon usage du présent ne dénote pas du hasard. Je peine à composer ces quelques phrases, pourtant anodines, pourtant si peu représentatives de mon art – l’orgueil, il ne me reste plus que ça, et bientôt plus rien.

    Et si j’avais oublié pourquoi j’écrivais ?
    C’est vrai. Je l’admets. Il m’arrive de me demander pourquoi j’écris ou je dessine – en l’occurrence, le dessin m’est plus accessible, mais les deux sont étroitement liés, puisque les univers sont les mêmes. Alors que je suis lancée dans un élan de polychromie ; alors que je tente de me diversifier, de ne pas me cantonner au grisâtre ; alors que Mère ne se pétrifie plus, constatant ces crayonnés plus gais ; ma main se fige, mes yeux dédaignent ma labeur et mon pinceau ne se risque plus à toucher le papier.
    Est-ce que je prends du plaisir à pratiquer mon art ?
    Seulement, est-ce que le fait même de me poser cette précédente question ne destitue pas ma production  à l’état de loisir ? Ne tient-il pas davantage d’un tic et d’un spectre de conviction, cet « art » ?
    Pourquoi dois-je mener une telle introspection en mon être pour saisir un piètre brin de satisfaction, et pourtant tenter de me convaincre qu’il me sied ?
    Pourquoi ai-je l’œil si envieux des prodiges, ou ne serait-ce d’une production fertile ?

    Lorsqu’il s’agit de l’Art de la Passion, tous ces questionnements n’ont pas lieu d’être...

    Un constat désolant. Peut-être un constat de fataliste. Question de subjectivité, mais, en ce qui me concerne, j’y devinerai plutôt un soupçon de réalisme ; me berner d’optimisme à outrance – comme toute chose à outrance – ne m’eut jamais offert qu’un âpre revers.
    « Sois forte et avance, fillette » me martèle-t-on, me martèle-t-on.
    Une démarche admirable… que je me refuse à adopter. La braise précieusement recueillie entre mes doigts me consume ; à l’affût de l’étincelle, sentinelle des affres du passé.
    Ai-je déjà envisagé mon existence versatile sans la valse de la Passion ?
    M’a –t-il déjà été permis d’échouer en ayant auprès de moi la Passion ?
    Suis-je destinée à rancir, sans elle ? Ou pire encore, que la vie s’écoule sous le joug de cette impitoyable polyvalence – sans me permettre la caresse des maux précurseurs de la Passion ! Et ces rêves d’enfants, ces utopies et ces chimères, délires oniriques, affaire d’une nuit. 
    Ceci, pour le pire ! A moins que cette braise ne donne naissance qu’à ce « petit Art », celui qui nous émeut à peine et que l’on oublie plutôt vite.
    Mais c’est ainsi que vont les choses imprévisibles : avec appréhension. Elles nous tombent dessus à brûle-pourpoint, pour des raisons absconses, sèment le chaos, sur l’instant ou pour toujours. Et moi, elles me font songer au passé avec nostalgie, mortifiée. Mais où sont-elles passées, ces soirées en solitaire, à écrire inlassablement ? Pourquoi est-ce que j’écris tout en ayant l’impression que ma plume est ailleurs ? Pourquoi mon regard est plus prompt à s’attarder sur des vétilles que sur la feuille vierge de la création ?
    Cependant, tous ces questionnements, toutes ces extrapolations ne sont-ils pas faits pour ceux qui abandonnent leurs raisons de vivre dès qu’ils commencent à les sentir décroître? C’est pourquoi fouler sur le sentier du passé m’est nécessaire : il me faut retrouver cette alchimie que j’entretenais autrefois envers mon art, cette infaillibilité, cette assurance lorsque j’écrivais et cet afflux d’idées qui se concrétisent aussitôt qu’elles me viennent. Me cantonner à la vie de Mère, faite de futilités, m’est inenvisageable : lorsqu’elle me contait sa Passion de l’écriture, des langues ou de la lecture, usant du passé ; tout ce qui l’émouvait auparavant n’était plus, ses passions s’étaient étiolées à mesure de temps. « C’est ce qu’il se passe quand tu deviens adulte, tu n’as plus de temps pour ce genre de choses », expliquait-elle.
    Je la contemplais avec des yeux grands comme des soucoupes, éprise d’une insouciante pitié. « Alors que ça doit être ennuyeux d’être adulte, je vous plains… » Ainsi ne pouvait-elle pas saisir le pourquoi du comment je refusais catégoriquement de faire autre chose lorsque j’étais attelée à mes Passions.

    Ma vie pourrait perdre tellement de son sens, ma chère Passion, car je n’ai jamais vu de vie plus sensée que celle d’un artiste, car je n’ai jamais vu mon âme aussi remuée que lors de la démarche créatrice.
    Ainsi, Jacques Brel et Barbara parasitent une nouvelle fois mes écrits ; et ses chants les plus mélodramatiques, quémandant « Ne me quitte pas », « Dis, quand reviendras-tu ? » ou « Pour un instant seulement, je la crois, Monsieur », « Tout le temps qui passe ne se rattrape guère », que la désillusion vint suivre.  Puisse-t-elle voir  l’enfant inconsolable que je fais sans Elle.
    Elle, qui jadis fit l’essence de ma vie, Elle, qui fit paraître le temps plus palpable et profitable, Elle, qui rendit délectable la plus lancinante des douleurs.

    Je pourrais  bien regretter pléthore de textes écrits à l’égard des pires ordures.
    Je pourrais bien me languir de la moindre bribe écrite en ta compagnie.
     Je pourrais bien envier le plus béant de mes marasmes passés pour t’entrevoir.

    Exact, hypothétiquement : prier pour la perte de quelqu’un ou quelque chose l’aura rarement ramené.

    Dans ce cas, je ne m’en contente plus. Je me contente plus de prier : j’agis. C’est là la raison de l’existence de ces lettres. Les excuses et les courbettes ne sont faites que pour les fainéants !
    Moi, je suis avide du concret. J’ai de l’orgueil et de l’égocentrisme ; et des rêves de grandeur, oui ! Moi, moi, moi, je ne supporterai pas de me laisser surpasser par d’autres passionnés, ni de jeter cette prétention, cet individualisme et cette ambition. Je ne supporterais pas de me huer de regrets : « Si j’avais poursuivi mon art de l’écriture, j’aurais pu écrire quelque chose d’aussi sublime et émouvant. J’aurais pu être publiée, de la même manière. Et peut-être même adaptée ? Ah, « si »! »


  • Commentaires

    1
    Lundi 26 Octobre 2015 à 16:40

    C'est intéressant de voir à quel point les questionnements des gens sont semblables. Je me souviens avoir eu ce type d'interrogations quand j'étais au début de ma classe de seconde (quinze ans, donc), j'avais pensé à arrêter d'écrire, puisque je n'y arrivais plus, et puisque j'avais l'impression que ce n'était plus compatible avec ma vie. Puis quelques mois plus tard j'ai eu subitement une idée, et j'ai commencé à écrire quelque chose très différent de ce que j'avais fait auparavant, très très particulier, mais qui d'une certaine manière me ressemblait beaucoup plus. Ce texte-là (plus précisément, c'était une nouvelle) a marqué un tournant dans ma manière d'écrire et me poursuit encore aujourd'hui. 

    Du coup, plusieurs choses m'interpellent dans ton texte par rapport à mon propre vécu (qui vaut ce qu'il vaut, bien sûr)

    Alors que je suis lancée dans un élan de polychromie ; alors que je tente de me diversifier, de ne pas me cantonner au grisâtre ; alors que Mère ne se pétrifie plus, constatant ces crayonnés plus gais ; ma main se fige, mes yeux dédaignent ma labeur et mon pinceau ne se risque plus à toucher le papier. 

    Argh. Ma mère aussi s'est pétrifiée sur mes textes, passant du stade choqué au stade indifférent (auquel elle est toujours aujourd'hui). Le truc, c'est qu'on ne fait pas de l'art pour faire plaisir à quelqu'un ou pour être correct. Je pense que pour toucher par l'art, il faut vraiment être fidèle à soi-même. C'est vraiment dur d'être prise pour une tarée ou un cas désespéré par sa famille à cause de ses créations, mais si c'est pour créer version plus soft afin de le rendre acceptable, ce n'est vraiment pas la peine. L'artificiel émeut rarement, et on en prend rarement du plaisir. 

    Lorsqu’il s’agit de l’Art de la Passion, tous ces questionnements n’ont pas lieu d’être... 

    Si bien sûr, ces questionnements ont lieu d'être. Pourquoi j'écris est une question fondamentale. Le truc c'est qu'on ne vit pas tous seuls dans une grotte, nos passions et leurs pratiques sont forcément influencées par les autres et le regard qu'ils portent dessus. En ce sens, la question du pourquoi est fondamentale pour s'affranchir du jugement condamnant.

    Me cantonner à la vie de Mère, faite de futilités, m’est inenvisageable : lorsqu’elle me contait sa Passion de l’écriture, des langues ou de la lecture, usant du passé : tout ce qui l’émouvait auparavant n’était plus, ses passions s’étaient étiolées à mesure de temps. « C’est ce qu’il se passe quand tu deviens adulte, tu n’as plus de temps pour ce genre de choses », expliquait-elle. 

    Hahaha ça fait tellement regard d'adulte désabusé plein de regrets xD
    Ceci étant dit, c'est vrai que je me suis aussi posée la question pendant longtemps. Il faut dire qu'on nous balance tellement l'idée de "quand tu deviendras grand tu verras, tout deviendra rationnel et tu oublieras tes grands élans d'adolescent(e) boutonneux/se lol" que ça devient une prophétie autoréalisatrice qu'on balance à notre tour aux enfants. 

    En fait, je pense que garder ses passions et ses idéaux tient de la capacité à renoncer à des normes et à assumer de vivre de manière alternative. Par alternatif je n'entends pas un courant ou certains modes de vie (parce qu'échapper à une norme dominante pour s'enfermer dans d'autres normes plus minoritaires, c'est pas très alternatif justement). Si ton but est de vivre la Vie Normale Adulte version française 2.0, ouais, abandonne tes passions. Si tu veux vivre avec tes passions, tu peux trouver un mode de vie qui te le permette - mais il y a de fortes chances que tu doives renoncer à une part non négligeable de ce qui est communément considéré comme une vie normale. 
    Dans mon cas, j'ai renoncé depuis longtemps à vivre une "jeunesse normale" et je n'ai jamais regretté. J'aime la tournure qu'a prise ma vie. On peut vivre sans regrets, cela dépend de notre capacité à ouvrir notre esprit à d'autres perspectives, d'autres chemins que les voies toutes tracées et autres autoroutes.

    Moi, je suis avide du concret. J’ai de l’orgueil et de l’égocentrisme ; et des rêves de grandeur, oui ! Moi, moi, moi, je ne supporterai pas de me laisser surpasser par d’autres passionnés, ni de jeter cette prétention, cet individualisme et cette ambition. 

    Je ne trouve pas qu'avoir des rêves de grandeur soit orgueilleux, mais plutôt rêver de grandeur pour la seule satisfaction de la grandeur. L'ambition n'est pas un mal, c'est l'ambition pour l'ambition qui pose problème.
    De la même façon, en tant qu'artistes cela nous arrive tout le temps de se dire  que le travail de quelqu'un d'autre est  merveilleux et qu'on arrivera jamais à faire quelque chose d'aussi bien. Cela peut nous pousser à aller plus loin, à donner le meilleur de nous-même. Le problème c'est de vouloir uniquement dépasser les autres, ce qui ne mène pas à grand chose dans l'art.

     

    Voilà, ce sont les quelques pensées qui me sont venues en lisant ton texte, étant donné que le thème me parle beaucoup. Sinon pour la forme ton style est plus stable j'ai l'impression, et ça s'adapte bien au contenu.

    2
    Mardi 27 Octobre 2015 à 14:38

    Mon affolement quant au fait que je n'arrive plus à écrire librement se justifie par le fait que ça fait plus d'un an que ça dure maintenant. Et ça se ressent clairement dans ma fréquence de post dans ce blog. Ceci dit je n'ai jamais songé à arrêter d'écrire, comme c'est supposé dans mon texte, c'est ce que j'ai de plus précieux au monde, donc ça mérite bien qu'on se saigne un peu !
    Le problème se situe en particulier dans mon ressenti lorsque j'écris. Je n'y prends plus autant de plaisir MAIS  je peux prendre du plaisir à rassembler des idées. Je suis très facilement distraite et pas assez impliquée. Ceci dit je ne pense pas que le problème se situe dans ma manière d'écrire vu que j'ai l'habitude de la faire varier, mais je garde l'idée en tête. 


    Dans l'art, on est censés montrer notre monde sous sa forme la plus authentique : c'est contraire à l'art de ne pas être soi-même en le pratiquant. Je ne sais plus dans quel contexte j'ai écrit ça, mais il me semble que je signifiais juste que j'étais moins morbide, pas forcément que je m'adaptais pour être correcte. C'est peut-être dû au fait que je ne vois plus les choses tout en noir ni tout en blanc, c'est plus nuancé.
    Parce que de ce côté-là, je suis encore loin de l'être (sans déc', ça a peut-être empiré haha). 

    Cette phrase fait référence au plaisir qu'est censé procurer une passion, sinon, ça ne porterait pas le nom de passion ! Le désintérêt face à une "passion" en ce sens me paraît assez antithétique. Le plaisir qu'on ressent à pratiquer une passion devrait aller de soi. Mais la page blanche fait partie de la passion je suppose ! C'est plus par démarche personnelle que pour m'"affranchir du jugement extérieur" que je me pose ces questions.


    C'est certes stéréotypé, mais c'est un témoignage 100% véridique ! Les adultes reflètent souvent cette image lorsqu'ils parlent de leurs passions passées, mais ça me paraît presque logique, on voit les vrais passionnés j'ai envie de dire. 
    Personnellement, ce mode de vie tendance "anticonformiste" (parce que l'anticonformisme devient une norme maintenant, cherche l'erreur) s'impose à moi. Après je ne sais pas si tu considères les mouvements sociaux comme des normes intermédiaires, mais même si j'adhère à certains d'entre eux je ne sens pas ça comme des normes.
    J'ai essayé de paraître "normale" par le passé, mais c'est totalement impossible pour moi depuis mon plus jeune âge. o/ Ça va à l'encontre de ma conception d'une personnalité, en fait. C'est bien plus excitant de vivre ainsi et je ne regrette rien !

    Je ne trouve pas qu'avoir un peu d'orgueil soit dérangeant tout court ! Je n'y vois pas forcément une connotation péjorative, mais comme tu le dis, dans nos objectifs, faut être clean et pas emporté par un courant de futilités.
    Ce que font les autres me renvoie à mon propre "échec", en fait. Mais les dépasser m'importe peu. Par exemple, une amie a fait un livre de trois cent pages, j'aimerais pouvoir écrire autant ! ><

    J'ai très peu soigné ce texte donc bon, pas spécialement fière dans la forme, mais en tout cas merci, ton commentaire me fait plaisir ! 

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